Échos de Jean Pérol, Jean Joubert et Éric Brogniet, à l’entour du Temps gagné de Pierre Perrin, 1988
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  • Échos à l’entour du Temps gagné
    Fragments par Jean Pérol, Jean Joubert et Éric Brogniet

    J’ai aimé ce que vous faites, ce que vous êtes (et je ne juge d’aucune hauteur, d’aucune supériorité, de rien – simplement du même rang où nous sommes l’un et l’autre enchaînés). Ce qui compte avant tout : vous avez la brûlure interne, le souffle, la résistance, la volonté. Le reste est affaire de temps. […] Détachez-vous encore davantage (même en jouant un peu le jeu, pour vivre, pour être un peu inserré parmi les chers confrères) mais relaxe, hein ! et de loin, l’œil amusé. Ce qui compte : en vous, à l’intérieur, dans la solitude. Rilke, Baudelaire, Rimbaud, Michaux. Le reste, c’est déjà très entaché. Et quant à l’essentiel : « soyez votre propre lumière, votre propre refuge, tenez-vous bien dans votre île à vous », Bouddha. Inscrivez-vous patiemment dans le temps, par le travail, par le professionnalisme dans votre matière. Quant au départ l’âme et la brûlure ont été données, ça mène immanquablement où ça doit (devrait ?) mener : à l’être, à la vérité. Toutes les astuces, cache-misères “écrivaines” ne pourront jamais rien changer à ces règles, à cette sélection. 

    Jean Pérol, Lettre à P. P., Tokyo, 25 décembre 1987

    couv. livre[…] Perrin s’exprime dans une langue dense, concrète, imagée, irriguée, par les multiples références à son enfance terrienne et à cette campagne natale où, dans son âge d’homme, il est demeuré. Il possède l’art du raccourci, du style tendu, de la métaphore qui fait mouche. Poèmes-cris, proférés d’une voix haletante. « J’écris des cris bondés, lourds comme des ventres de bombardiers, des poèmes ruines, éclairs et sarcophages. » Dans Le Temps gagné, ces remous prolongés de l’adolescence peu à peu s’apaisent. Si l’enfance reste présente, c’est aussi désormais à travers l’existence d’un jeune fils. L’érotisme se fissure. Une autre dimension de l’amour apparaît. Les paysages longtemps boueux et hivernaux prennent les couleur de l’été. L’ humour parfois même pointe l’oreille. […] Dans sa quête d’un état paradisiaque qui coïnciderait avec le réel, Perrin a longtemps incarné la tragédie de l’homme contemporain qui, après la proclamation de la mort des dieux, n’a plus contre l’absurdité du monde que des recours illusoires. Seul l’art, pratiqué comme une ascèse, est peut-être capable de le rapprocher du Mystère, sinon de l’élucider. […] Voilà, pour la maturité du poète, désormais armé de son langage, des territoires nouveaux à explorer et à conquérir.

    Jean Joubert, Pierre Perrin et la difficulté d’être, novembre 1988

    […] De Manque à vivre au Temps gagné, à travers quelques grands événements fondateurs (les origines paysannes, la nature en Franche-Comté, la mort du Père, le rapport à la Mère, l’initiation amoureuse) le trajet vital de Perrin est un trajet de connaissance de soi : il fait sienne cette remarque de Pavèse : « la vie n’est pas une recherche d’expériences, mais de soi-même. Une fois découvert son propre stratus fondamental, on s’aperçoit qu’il coïncide avec son destin et on trouve la paix ». […] La langue de Perrin est musicale, agile, et souvent même jubilatoire. À preuve cette poésie aux images neuves : ‘le foutre du soleil”, “le niveau de la mort”. Instant de lumière dans la conscience souffrante, l’acte d’écrire accorde le poète à la plénitude. […] Dans le texte ultime du Temps gagné, d’une rare et juste lucidité, Pierre Perrin fait le point sur son travail. Tant qu’il y a vie, il y aura tension. Il y aura témoignage. Le poète, aujourd’hui, sait aussi que cette vie augmentée par l’amour et la poésie ne se déplace pas linéairement, mais rayonne. Il a rejoint son souhait de vivre tentaculairement. Chaque pas, chaque déplacement font surgir un arpentage et un éboublement. Mais, dépassant les oppositions, les antinomies, le poète accède à une vision pacifiée. Le Temps gagné n’est pas un temps figé. C’est un présent en marche et sa fragilité est sa plus grande force.

    Éric Brogniet, Pierre Perrin ou l’amour à mort, septembre 88 – janvier 1989

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