Pierre Perrin, de la rupture à la continuité
Une présentation par Christophe Forgeot

Né en 1950, Pierre Perrin habite le Doubs, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages : recueils de poèmes, romans, études, essais… C’est un « artisan-directeur-général » comme il l’écrit lui-même sur le site Internet de la revue Possibles.
Durant son cheminement littéraire, Pierre Perrin a été remarqué par des noms connus dans le microcosme de la poésie française : Jean Breton, Claude Michel Cluny, Patrice Delbourg, Jean Orizet… En 1986, il obtient le prix Kowalski de la ville de Lyon pour La Vie crépusculaire, recueil édité chez Cheyne. Il participe au comité de lecture de Poésie1-Vagabondages, à la Nouvelle tour de feu et à La Nouvelle Revue française. Il a fait la une de la revue Friches, en 2004.
En 2005, il cesse d’écrire. Il reprend son activité d’auteur en 2015. Vient alors à mon esprit la question logique : pourquoi cet arrêt ? Pourquoi dix ans sans écrire ? J’en trouverai l’explication notamment sur son site, dans la rubrique Le Parcours du poète et critique littéraire, II, en suivant le lien qui mène au paragraphe “Pourquoi dix ans de silence ?” Cependant, si je vous renvoie à cette page, je me propose, ici, d’apporter moi-même quelques éléments de réponse très personnels.
Voici les éléments qui constituent la source de ma réflexion :
– Dans sa postface de Manque à vivre (éditions Possibles, 1985), Yves Martin compare les poèmes en vers de Pierre Perrin à des « bâtiments longtemps inachevés, abandonnés puis repris ».
– Ce recueil, Manque à vivre, voit s’alterner de façon aléatoire des poèmes en prose et des poèmes en vers, provoquant des ruptures à chaque fois.
– En page 35 de son recueil spécialement édité pour le Festival de poésie à Montmeyan, La Porte (éditions Possibles, juillet 2018), le poète parle de la rupture de la gorge d’un cochon (celle-ci est tranchée).
– Ces deux recueils, Manque à vivre et La Porte, évoquent des ruptures qui ont blessé l’auteur durant sa vie : celle du père, celle de la mère, celle du chien assassiné.
– Dans La Porte, en page 87, Pierre Perrin s’interroge magnifiquement : « entre l’éternité pour le croyant et rien à qui rompt les œillères, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ? »
– En page 90, il écrit également : « Nous vivons tous comme des marbres issus d’une carrière, taillés, ventés. »
– Le titre de ce recueil lui-même, La Porte, peut vouloir exprimer une rupture entre deux lieux.
Toutes ces remarques me font prétendre que le thème de la rupture tient une place importante dans l’œuvre de Pierre Perrin. Ainsi, pour moi, si son silence entamé en 2005 est clairement la marque d’une rupture… sa reprise de l’expression écrite, en 2015, n’est pas moins qu’une autre manière de rompre avec cette rupture. Pierre Perrin rompt avec la rupture et revient à l’écriture comme on rentre au pays, changé, différent, et ce « retour en avant » oblige alors le symbole de La Porte à apparaître non plus comme un objet de séparation mais comme un lieu de passage. Ainsi, après un « à quoi bon qui le mine » (comme il le dit lui-même), après un entre deux, un passage à vide, et pour prolonger les mots d’Yves Martin dans sa postface (« les bâtiments longtemps inachevés, abandonnés puis repris »), je dirai qu’en reprenant le chemin de l’écriture, à sa façon, Pierre Perrin est aussi un homme de la « rupture-passage » et encore plus que cela : un homme de la « rupture-renaissance », un homme de la « rupture-continuité ». Ne se sert-il pas lui-même de l’écriture comme d’un passage ? L’écriture n’est-elle pas une porte qu’il franchit ? Ne doit-il pas sa renaissance à l’écrit ? Ne poursuit-il pas son œuvre ?
En effet, si la rupture est présente dans son écriture, celle-ci ne traduit pas forcément, chez lui, une absence de passage ni une absence de renaissance, ni même l’absence d’une autre forme de continuité. Et, pour s’en convaincre, on peut lire le poème Ève quaternaire dans le recueil Manque à vivre (pages 99 et 100) où, après des années de rupture, l’auteur espère toujours embrasser son amoureuse : « Si, par impensable hasard, tu viens à effleurer ce livre, ce poème, n’hésite pas, reconnais-toi, appelle-moi. Que je t’embrasse encore ma grande palpitante, mon silence, dont le temps m’a arraché jusqu’au vécu. »
Finalement, je me plais à subodorer que si Pierre Perrin éprouve le besoin de rompre, c’est qu’il s’entraîne, dans une sorte de sagesse inconsciente, à ce qui sera peut-être son ultime rupture. Sauf qu’à ce jour, personne n’a pu lui prouver qu’il y aura, là, un passage, une renaissance, ni même une autre espèce de continuité. Peu importe, différemment, Pierre Perrin aura décidé de rompre encore et de continuer.
Christophe Forgeot, Festival Montmeyan en Poévie, dans le Var, vendredi 3 août 2018
- La Porte et autres poèmes, 2018, une vingtaine de retours de lecture
Acquisition du recueil
- Retours de 2020 [Michelle Ronin, Véronique Elfakir, Philippe Colmant]Le style de Pierre Perrin est aussi celui de ses maîtres. Il excelle dans l’utilisation de ces questions rhétoriques dont la réponse immédiate fuse comme pour en annihiler la vanité.
- Lecture de Marie-Claude San Juan sur Trames nomades 2/7/19une conception de la poésie qui compte : conscience de soi, et conscience du monde, dire et déchiffrer l’énigme du processus poétique que l’écriture permet de penser
- Deux notes de lecture de Michel Baglin sur TextureUne écriture charnue, rugueuse parfois, mais où les métaphores sont chargées d’énergie vitale et s’éclairent d’une lumière intérieure.[…] Des textes puissants, qui reviennent sur l’enfance […] On est loin ici de la poésie ornementale ! L’expression y est ramassée…
- Deux notes de lecture d’Alain Nouvel et Jeanne OrientC’est une poésie de l’humilité et de l’humus, une poésie des genoux dans la terre. Elle a la rudesse de qui se sait mortel et qui se cabre. La poésie d’un solitaire dévoré par cette étrange culpabilité de la perte, lequel sait se dire pourtant : « C’est étonnant comme une voix peut ouvrir les bras », la poésie d’un solitaire rédimé par l’apparition miraculeuse d’un « nous » : « Si le monde nous tire par la manche ? Peu importe ! Tu es là comme le vent dans l’arbre, au matin la lumière
- Une note de lecture par André Campos RodriguezDans l’écriture de Pierre Perrin, il y a du Janus, qui fut considéré comme le dieu des Portes, justement, car comme lui elles regardent de deux côtés. Quand les Romains étaient en guerre, on ouvrait les portes du temple de Janus pour signifier que ce dieu était aussi parti au combat. On les refermait quand la paix était rétablie. Le lecteur se retrouve donc avec deux versants, ou deux visages, mais l’unité de l’ensemble est sauvegardée grâce au style impeccable et rigoureux du poète…
- Retours de Tison, Mathé, Fontaine, Farina, Pobel, BrognietL’ensemble du florilège, tel qu’il est, me plaît : j’y retrouve ta voix singulière, pleine, avec des moments rugueux ou acérés. Bref, une écriture qui a une personnalité. [Jean-François Mathé, 10 juillet]
- Une note de lecture de Murielle Compère-DemarcyDès le texte d’ouverture la voix du poète se reconnaît, dans sa capacité à simultanément abstraire et a contrario concrétiser – d’une situation, d’un état des lieux, d’un événement – toute une symbolique vrillée aux chevilles du vécu. […] Concise et sans concessions l’écriture du poète accède au cœur des choses sans états d’âme, mais puissamment.
- Une présentation par Christophe Forgeot [Montmeyan]Finalement, je me plais à subodorer que si Pierre Perrin éprouve le besoin de rompre, c’est qu’il s’entraîne, dans une sorte de sagesse inconsciente, à ce qui sera peut-être son ultime rupture. Sauf qu’à ce jour, personne n’a pu lui prouver qu’il y aura, là, un passage, une renaissance, ni même une autre espèce de continuité. Peu importe, différemment, Pierre Perrin aura décidé de rompre encore et de continuer.
- Premiers retours de lecture — Acquisition du recueilVos ‘prosèmes’ (j’invente le mot) sont précis et bien rythmés. Ils rendent présents ce qui vous habite. Pour moi, qui suis resté catholique, la “réelle présence” n’a aucun sens, si on ne la trouve pas ailleurs que dans les rites. Or, elle fait défaut partout, aujourd'hui. Pas chez Simenon. Pas chez René Char (merci pour lui), pas chez vous. Ce n’est pas du dogme, que je vous parle, mais de ce qu’il peut ouvrir…
Christophe Forgeot est chargé d’enseignement à l’Université du Sud Toulon-Var.