Alain Nouvel et Jeanne Orient lisent La Porte de Pierre Perrin
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  • Alain Nouvel et Jeanne Orient
    Leur lecture de La Porte de Pierre Perrin

    Une sainteté contrariée
    Lecture d’Alain Nouvel

    Aucune crainte, nous vivrons, Pierre Perrin

    recueil La PorteLa poésie de Pierre Perrin ne se donne pas comme cela, pas comme telle, elle se prend comme un peu de terre qu’on hume dans la main, elle fuit entre les doigts comme un sable sensible, comme une eau sans naïveté. Elle prend à la gorge parfois, elle la serre, comme par surprise, jamais par mégarde.
    Une poésie qui ne se lit pas mais se relit, sauvage et rétive comme un buisson de ronces, elle accroche, blesse mais ne quitte pas. Elle gêne et fait saigner tant elle fait signe. Ses baies noires font un jus rouge.
    Pierre Perrin a la terrible humilité de celui qui sait que « ses mots ne valent pas un pissenlit séché. » Et qui le dit. Et il continue à écrire, « il refuse pourtant la défaite », « contre toute attente, sa relecture lui ouvre les yeux et le transporte de l’insuffisance qui le mine vers ce qu’il doit atteindre. » C’est cette ténacité dans le « mouvement vers » qui émeut, cet élan perpétuellement à reprendre, obstiné comme un mouvement vital, de la bouse, de la terre vers la mère, vers l’amour.
    Mais tout est d’abord âpre et dur dans cette poésie, rude comme si l’air était du roc respirable. Et pourtant, tout y est, au fond, si tendre : « Terre des longs désirs, si tendre à la narine et douce au doigt (…) » Mais il arrive qu’on s’y gratte « la stupeur jusqu’au sang ». Le désir ravage le corps et l’âme « quand le bassin manque de s’arracher » … « La tendresse du monde » que chante le violon, voilà qu’elle naît de « l’arbre en chemin vers le ciel », abattu. Et le violon aussi, finit par se démembrer, comme l’arbre dont il est issu. Mais de sa mort naît, encore, de la joie.
    C’est une poésie de l’humilité et de l’humus, une poésie des genoux dans la terre. Elle a la rudesse de qui se sait mortel et qui se cabre. La poésie d’un solitaire dévoré par cette étrange culpabilité de la perte, lequel sait se dire pourtant : « C’est étonnant comme une voix peut ouvrir les bras », la poésie d’un solitaire rédimé par l’apparition miraculeuse d’un « nous » : « Si le monde nous tire par la manche ? Peu importe ! Tu es là comme le vent dans l’arbre, au matin la lumière (…) » Et voilà que le poète choisit la plénitude de l’amour plutôt que la sainteté rugueuse de sa solitude.

    Alain Nouvel, 20 octobre 2018


    “Un Silence Fertile”
    Lecture de Jeanne Orient

    Pierre Perrin semblait avoir pour destin le silence. Je crois que sa plus belle victoire et notre plus grande chance c’est qu’il a vaincu le silence.
    Devant son recueil La Porte qui reprend un choix de poèmes déjà parus, je ne peux m’empêcher de voir comme un silence vaincu ou plutôt un silence fertile.
    “Un Silence Fertile”, c’est le titre d’un poème où il écrit : « La campagne ne m’aura guère appris à ricocher entre les hommes. Le moindre bruit, même débonnaire, me fait taire […]. La poésie m’aura fait vivre à ma mesure. Je n’en veux pas à l’horizon. Lorsque mes dents se serreront pour la dernière fois, je redirai merci. Que germe alors, ou non, le silence fertile. » Combien il a germé ce silence fertile de Pierre Perrin !
    Combien ce florilège de poèmes est comme le tracé d’une vie. Sombre et rude comme l’enfance : « La nuit venue, on ravale son orgueil d’enfant que nul n’écoute, en raclant les draps. Mais la mémoire est une traîtresse aux yeux crevés. L’enfance clouée vive sur la porte de grange, le jour ne cesse pas de se lever. »
    Et puis toujours dans cette terrible rudesse de l’enfance, ces mots insoutenables : « Elle fait abattre le chien, qui n’avait pas six mois, pour mes dix ans, parce qu’il mangeait trop. Seul derrière la fenêtre de la cuisine, je le revois attaché au poteau en face de la maison. Un voisin lui fracasse le crâne d’un coup de hache. J’entends les hurlements, la terreur de mon unique bête. Le sang jaillit, et ma mère tire le corps derrière le tas de fumier. Ce meurtre je l’ai tu trente ans ».
    Et le tracé continue car La Porte c’est aussi la poésie. Cette poésie salvatrice : « Et ce qu’on dit peut bien ne retenir l’attention que de quelques personnes, cela ne condamne pas la passion chaque matin plus raisonnée, pour sourire par tout le corps ».
    La Porte, c’est surtout l’amour : « C’est étonnant comme une voix peut ouvrir les bras. Tu es venue, tu m’as levée d’entre des eaux noires pour m’emporter vers un présent perpétuel ».
    Mais Pierre Perrin continue le tracé, “comme s’il devançait l’adieu” et, même s’il semble parfois conclure, il a la conclusion toujours interrogative. « Qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ? » Et il y a invite à profiter de cette éclipse...
    La Porte est un recueil bouleversant. Ce choix des poèmes n’est probablement pas anodin. J’ai relu plusieurs fois avec cette crainte de rater quelque chose. De ne pas saisir… mais saisit-on jamais tout ? Surtout chez un poète comme Pierre Perrin ?
    Je ne sais pas si j’ai su comprendre La Porte qui, en couverture du recueil, semble ‘posée’ sur un nuage, au-dessus de la mer.… la photo si belle est signée Christine Perrin.
    Il y a dedans ce recueil, cette part de vie en éclats et aussi ces éclats de vie que Pierre Perrin rapporte avec cette écriture sienne, si « précise », si aiguisée, si lumineuse.
    Et je ne peux m’empêcher de revenir à mon impression première : Pierre Perrin avait pour destin le silence. Il en a fait un « Silence fertile ». Magnifiquement fertile. Pour notre chance.

    Jeanne Orient, 13 octobre 2018


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