Retour de lecture du roman Le Soleil des autres de Pierre Perrin par Laurence Biava et Christine Lorent
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  • Pierre Perrin, Le Soleil des autres
    Retour de lecture du roman par Laurence Biava et Christine Lorent

    roman

    Avec Le soleil des autres, nous plongeons dans la vie d’une femme née au siècle dernier, issue de la France rurale. Dans cette campagne d’après-guerre, Henriette, à qui on avait prédit autrefois une carrière d’institutrice, est contrainte de renouer avec ce milieu paysan dont elle s’était détournée, sous la tutelle de son mari Adrien qui a décidé d’abandonner sa carrière de gendarme en Allemagne pour revenir au village. Tout le récit raconte aussi bien les regrets nés de la profonde frustration que les souffrances subies de la mère dans un environnement détestable, en compagnie d’un époux et d’un jeune fils qui lui pèsent.

    « Adrien n’est plus son bourreau. Un instant, Henriette s’accuserait presque d’un excès de dureté envers lui. Le grain de la peau, la voix se défont. Henriette, elle-même, bientôt, sûrement, ne survivra que dans la mémoire… La solitude fait à la veuve les pieds glacés, les mains gelées. Elle la paralyse depuis les épaules jusqu’aux talons. Incapable de s’asseoir sur le bord de son lit, Henriette roule, tel un tronc, se retrouve une fois par terre. Elle déplore, entre deux sanglots, le tour qu’a pris sa vie. Les couleurs s’effacent presque sous ses paupières. Le gris les met en berne. Rien n’accapare les heures d’attente sans objet, ces limbes entre le travail forcé, à tomber de fatigue, et son sommeil plus troué encore que par le passé. »

    L’enfant, François, de cinq ans qui raisonne comme un jeune adulte n’entend que des reproches et subit une certaine maltraitance de la part de cette mère qui n’a de cesse de lui faire porter la coupe de son émancipation ratée… « Son fils, si peu compris lui aussi, n'a pas encore vu que sa mère était morte de n’avoir pu partager le soleil des autres. » Les moments de partage et de complicité avec un père fourbe sont rares. Mais grâce à Chantal, une camarade de classe, François parvient toutefois à grandir en contemplant un monde mesquin qui ne lui ressemble guère. Avec cette amie, il se prémunit des trublions odieux et féroces que sont les frères Puidroneaux.

    « Chantal a pris d’emblée “le petit Sauget” sous sa protection. Elle lui raconte ce qu’elle sait. Elle insiste pour bien le mettre en garde. Le père, Arthur Puidroneaux, est très mal dégrossi. Il a trouvé sa drôle de femme parmi les tondues de la Libération. François ignore ce que recouvre le mot “libération”, faut une image qui l’éclairerait. Il ignore aussi de quoi retourne cette histoire de tondue. Poli ou stupide, il laisse poursuivre Chantal. »


    C’est en vérité une tragédie qui se joue, tout se précipite, comme le lecteur le redoute… Les non-dits et les tribulations des trois familles (famille Sauget, famille Feuillard, famille Puidronneaux) articulent et rythment le scénario de la vie du village. Le climat est violent et moyenâgeux au pays des caractères paysans, et la drôlerie du langage patois ne parvient pas à faire oublier la misogynie des hommes et la cruauté de la mère, décidément sans affection. Les scènes d’exécution des animaux domestiques (un chat et le jeune chien du jeune héros) sont terribles et poignantes.

    Les portraits de la mère et de son fils sont admirablement dépeints et très bien écrits. On se demande quelles souffrances enfouies (domination, rejet, viol) peuvent à ce point transformer un être humain en bourreau. Le lecteur est de tout cœur avec cet enfant qui porte sa douleur, qui encaisse les coups et passe son temps à dissimuler ses larmes. En proie à une recherche existentielle et spirituelle, il finira par devenir séminariste.

    On ne peut lâcher ce récit de Pierre Perrin sans ressentir une certaine émotion. La verdeur et la description des scènes en plein cœur d’une ruralité âcre et rêche sont magnifiques, tout comme les fulgurances stylistiques. Un roman à mettre entre toutes les mains, pour en saluer la rigueur et la grande beauté.

    « Enlisée dans une époque, Henriette survit, s’entête, souffre, se laisse submerger par la colère, sans que personne comprenne que ses rêves avortés l’ont brisée. »


    Laurence Biava, 23 janvier 2023, sur le site Actualité littéraire.

    « L’argument et l’intérêt essentiel du Soleil des autres : le destin raté, l’amour raté quoique sans doute existant, l’impossibilité de se retrouver pour les membres que constitue ce trio familial. Comment la déception, la (les) souffrances de la mère ont perverti toute entente, toute douceur possible ? Comment elle a dirigé – ou cru le faire – le destin d’un fils qu’elle voulait exemplaire pour prendre sa revanche sur la crasse de ces villageois incultes et de leur brutalité ? C’ est cela qui me paraît essentiel […] un beau mouvement allant de la souffrance collective du trio familial enfermé dans un huis clos infernal à la résilience finale. »

    Christine Lorent, courriel, 14 janvier 2020.

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