Pierre Perrin, Le Soleil des autres
Retour de Virginie Megglé, Marie-Thérèse Peyrin, Danièle Corre et Calimero29

Que Le soleil des autres voie le jour était vital… J’espère vraiment qu’il rencontrera son public, même s’il devait se faire rare en librairie. Il est de ces livres – comme il en est aussi avec certains films – qui ne se laissent pas oublier une fois que l’on en a terminé la lecture. J’y pense encore et c’est (je n’y peux rien) gage de qualité. Notre époque où la culture devient dramatiquement industrielle brime les talents, écrase les personnalités au profit de l’air du temps. Nous ne cesserons jamais d’en être désolés. — Virginie Megglé, 7 nov. 2022
Les voilà [les deux volumes de l’anthologie et du roman, sur la table, photo personnelle non reproduite ici] ! Une hésitation de quelques secondes seulement, et je choisis de faire la connaissance d’Henriette… Que j’avais déjà croisée sans l’avoir écoutée. Les mères reviennent peut-être plus doucement sous la plume des ans, comme une amnistie posthume. Le style de son fils Pierre est presque enjoué, il reconstitue le décor d’enfance, le réinvente comme un réalisateur de cinéma, les personnages s’incarnent, ils sont crédibles et vivants. L'amour s’insinue au milieu des griefs élimés par le temps. Un livre apaisé ? Où « l’orgueil prend la place du désespoir »…
Pour l’instant, je réfléchis aux mots que je vais utiliser pour parler de ton roman (les poèmes prendront plus de temps puisque tu réussis le tour de force de mettre la limpidité et la concision dans le roman et la densité rehaussée de références dans ton recueil de poèmes. Je vais prendre appui sur l’un et sur l’autre pour orienter ma lecture. Le soleil des autres a été lu d’une traite (sans jeu de mots), il laisse une forte impression sur mes rétines et ma mémoire personnelle. L’amour parental et conjugal, l’amour naissant, l’amour souillé, l’instrumentalisation et l’ignorance crasse, la lâcheté, l’impossible loyauté et la rémission des manquements, ton livre les a décortiqués comme on enlève un poison violent au cœur d’une plante qui ne fait que se défendre. On ne refait pas sa vie, on continue, dit la chanson, mais avoir le courage de la raconter sur trois générations, même avec des lacunes et des mystères permet de redresser les yeux pour voir le chemin accompli et des propres pas devant. Bravo pour cette offrande aux autres et aux tiens s’ils acceptent l’héritage. À bientôt donc. — Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 18 novembre 2022
- Le Soleil des autres, Sinope éditions, octobre 2022, le roman, des lectures, etc.
La présentation du volume chez les libraires
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- Retour de lecture par Laurence Biava et Christine Lorent, 14 et 23 janvier
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- Retour de lecture par Marie Desvignes et Guylian Dai, 1er et 3 décembre
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- Retours de Marie-Thérèse Peyrin, Danièle Corre et Calimero29
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- Une lecture personnelle de Jeanne Orient sur Le Livre des visages
en date du 30 octobre 2022 - *
- 15 retours de lecture du roman [avant publication chez Sinope]
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- Un article en prévision d’une parution naguère, mais éclairant
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- La présentation du roman par la maison d’édition
Le soleil des autres m’a semblé déchirant. Il a fallu que je marque une pause après la terrifiante tuerie du chien à coups de hache, moi qui rêve depuis toujours d’avoir un chien à aimer. Le monde que vous présentez si fortement où manque l’amour maternel, même s’il est reconnu en fin de volume, où les études austères au séminaire sont si loin encore du soleil des autres, m’a profondément marquée; votre livre est une réussite. De même le style est adapté aux moments vécus par votre personnage et on se laisse porter, ou heurter comme il faut, par le rythme des phrases, avec une grande attention à l’emploi des voyelles et des consonnes: « Un faux-pas et patatras », « L’aube étire un rai de soufre sous un banc de nuages », « Roux, bouclé, des yeux d’herbe, il a piétiné ces années d’impatience ». On y trouve aussi de belles notations sur le livre: « Tout livre est une longue lettre. Il faut qu’une lecture leur apporte quelque chose, sur le monde ou la vie intérieure, sinon le livre n’est qu’un arbre abattu pour rien. » — Danièle Corre, courriel, 24 nov. 22
Au fin fond de la campagne française, nous suivons l’histoire de Henriette, fille de paysans, d’Adrien, son mari et de François, son fils.
L’histoire commence en février 1945 quand Adrien, journalier agricole, rentre de captivité et retrouve sa fiancée, Henriette, qui le convainc de passer l’examen pour devenir gendarme; il le réussit et voilà le couple parti en poste en Allemagne où naît François. Mais Adrien a la nostalgie de la terre, il démissionne et en février 1954, la famille rentre à la ferme. François a quatre ans. Henriette, qui avait tant rêvé d’en partir, est détruite de l’intérieur, devenant dure, insensible, injuste avec son mari et son fils.
François, à son tour, voudra échapper, non à la ferme mais à sa mère et part à 11 ans au séminaire qu’il quittera à 18 ans. Il se marie, a des enfants, des petits-enfants mais le manque d’amour de sa mère reste une blessure inguérissable.
Ce roman fleure bon (et parfois nettement moins bon !) le terroir. L’auteur dépeint fort bien la vie à la ferme dans les années 50-60, pénible, dure, harassante mais aussi la découverte de la nature, des animaux, des fleurs, des plantes par un enfant au travers des yeux de son père dont il est très proche. Le monde rural de cette époque est marqué par la violence des enfants entre eux, contre les femmes qui sont souvent perçues comme des proies, contre les animaux qui ne se conçoivent qu’utiles.
Le Soleil des autres nous offre deux beaux portraits; celui d’Henriette, la mère, qui perd toute joie de vivre à son retour à la ferme, qui s’assèche, se durcit mais jamais ne se plaint, qui reste droite quelles que soient les épreuves, qui ne courbe pas et celui de François son fils ; toute sa vie, il quémandera l’amour de sa mère et ne comprendra que fort tardivement ce qu’elle a du endurer. Lui aussi subit en silence la dureté de la vie rurale en étant le souffre-douleur de deux vauriens, en ne pouvant laisser exprimer sa sensibilité.
Le style est recherché, très travaillé, un peu trop au point que j’ai dû relire certains phrases à plusieurs reprises pour en saisir le sens; l’auteur varie les registres en fonction des personnages jusqu’à le rendre ordurier. Le style sait se faire poétique pour décrire la nature et ses trésors.
Je remercie les éditions Sinope pour m’avoir donné l’occasion de découvrir l’auteur et de me replonger dans mes souvenirs de petite-fille de paysan à la même époque. — Calimero29, Babelio, 30 nov. 22