Retour de lecture de Jeanne Orient sur Le Soleil des autres de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Le Soleil des autres
    Retour de lecture du roman [éditions Sinope] par Jeanne Orient

    roman

    Le nouveau roman de Pierre Perrin, Le soleil des autres, que je sous-titrerais bien la peine infinie, offre une plongée dans la vie de ces femmes qui dans une ferme, sur leurs terres, ont pour horizon le seul temps dédié à la terre et aux animaux qui vont les nourrir et nourrir toute la famille. Ces femmes sont souvent nées à la ferme et meurent à « la ferme ! » Il y a, dans ce roman, la vie d’un village avec sa mairie, son église, son école et tout un monde de labeur, de petitesses parfois et de grandeur également. Il y a dans ce roman une femme, Henriette. Et Pierre Perrin nous raconte d’une façon bouleversante la vie d’Henriette. Il décrit au scalpel tout ce qui est rogné dans la vie de cette femme.



    Henriette est née dans ce monde rural, dur et de labeur incessant. Un monde ou, quoi qu’elles fassent, les femmes gardent l’odeur des animaux à même la peau. Un monde où on fait l’amour en alerte. Un veau pourrait naître en cet instant. Comme le corps se déforme dans certains métiers, ici le corps se déforme et dans la tête souvent, rien ne va plus.
    Henriette est une femme jeune, pleine de rêves de la ville. Soudain un espoir, un mariage et la ville est là. Elle troque ses habits « gris » pour des robes, une étole. Elle défait ses cheveux. Ils sentent bons. Elle met du vernis à ongles, prend le thé avec des amis et se sent heureuse, vivante.
    Mais Henriette est rattrapée par un retour « à la ferme ! ». Le mari décide de revenir sur ses terres. Et le terrible recommence. Pire encore le terrible. Il n’est jamais pardonné à celles qui s’en vont vers une vie meilleure de revenir. Toute une description du monde rural. Toute une plongée en terre inconnue pour certains. Toute une vie tissée de silences. De solitude et de silences. D’hectares de terres aussi. Ce sont ces hectares, le nombre de bêtes qui font la différence dans le même village entre les familles du village. Il y a également, le maire, le curé et l’instituteur. Il y a des enfants qui grandissent ensemble dans la même école. Des histoires d’amour adolescentes traversent ce roman. Des prénoms. Des méchants, des gentils. Et puis Henriette. Toujours Henriette, le prénom de la mère. Ce village, la vie de ce village, c’est un peu comme dans le village de l’enfance de l’auteur. Les souffrances de François, un des personnages du roman, ressemblent étrangement à celles de Pierre Perrin dans son enfance. Il y a nécessité pour un écrivain de prendre distance avec les personnages de son roman. Cette distance permet les dires les plus douloureux… Comme ces viols de femmes derrière un mur de grange. Silencieuses, elles n’en diront rien. Henriette, violée, trouve juste la force de botter son fils de plus en plus fort. Elle pense ainsi le libérer, lui donner toute ses chances en le privant d’amour et en le « gavant » d’instruction. Elle ne voit pas dans sa propre détresse, dans sa dureté qu’elle fracasse l’enfance de l’enfant.
    Le soleil des autres est un roman réaliste et bouleversant. Empreint d’un désespoir de femme. Empreint de silence. Empreint de secrets. Empreint d’amour aussi. Mais c’est quand même une histoire poignante, avec seulement au loin, écrit Pierre Perrin : « le bruit d’une rivière qui roule ses eaux sans retour ».
    Nous refermons le livre avec l’impression d’un rayon de soleil qui nous aveugle soudain. Peut-être celui qui a terriblement manqué à Henriette. Et ce sentiment d’urgence qui étreint. Pierre Perrin sait que le temps nous sème toujours et, s’il oublie, il y a dans le livre, ces paroles de Marc-Aurèle : « Bientôt tu auras tout oublié ; bientôt nous t’aurons oublié ». A-t-il écrit Le soleil des autres pour Henriette, pour lui peut-être ? Peut-être que dans son ailleurs, Henriette attend encore un peu du « soleil des autres » ?

    Jeanne Orient, Le Livre des visages, 30 octobre 2022

    « J’ai eu la chance de le lire, et j’ai trouvé ce livre beau et sensible, terrestre et champêtre, émouvant et sonore, témoin de l’amour qu’un petit garçon n’a pas eu, et que sa mère n’a pu lui offrir, aveuglée par sa propre souffrance. Témoin aussi de l’odeur de la terre et d’une époque où les femmes devaient se taire. Un livre très touchant, et puis l’écriture de Pierre nous va droit au cœur. » — Fabienne Schmitt, commentaire apporté après le billet de Jeanne, Le Livre des visages, 31 octobre 2022

    Que Le soleil des autres voie le jour était vital… J’espère vraiment qu’il rencontrera son public, même s’il devait se faire rare en librairie. Il est de ces livres – comme il en est aussi avec certains films – qui ne se laissent pas oublier une fois que l’on en a terminé la lecture. J’y pense encore et c’est (je n’y peux rien) gage de qualité. Notre époque où la culture devient dramatiquement industrielle brime les talents, écrase les personnalités au profit de l’air du temps. Nous ne cesserons jamais d’en être désolés.
    Le hasard m’a fait ouvrir Des jours de plein terre sur Vivre, page 55, lu et relu. Et en projet de le relire. Sur la page de gauche, tout à côté ? Le silence fertile… Voilà que j’en entendais l’auteur comme je le devinais jusque-là. Cela suffisait à me ravir. La lecture de tes œuvres nous travaille comme une terre, elle nous remue, elle nous laboure, nous rappelle que nous sommes encore des êtres de chair. — Virginie Megglé, 7 nov. 2022

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