À la recherche d’une mère perdue ?
Une lecture d’Une mère, Le cri retenu par Alain Nouvel

C’est peut-être dans ce tombeau de l’écriture que vit enfin cette maman, au prénom de fleur. Elle qui consacra les huit dernières années de sa vie à nettoyer le cimetière où reposait son époux. Et voici que le fils est revenu à pas de loups, à mots de loups, parler de celle qu’il n’a pas su connaître ni aimer, ni accompagner de son vivant. Celle qu’il avait reniée, aux temps de 68 et des révoltes sans lendemain… Comme si c’était elle qui lui avait enjoint, post mortem, de revenir à elle et la ressusciter entière. Rose, c’est tantôt « elle », et tantôt « toi ». C’est qu’il y a de la distance et de l’intime dans ce texte. Et bien malin qui saurait démêler l’un de l’autre. « Tout me partage encore aujourd’hui » dit le narrateur, et partagé, il le fut, entre la haine et l’amour, cet “hainamour” dont Lacan parle et qui se vit : « Oublie la fosse où le corps n’est plus », lui dit-elle, comme une amante parle à son amant.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure » disait le narrateur de La Recherche, et celui de cette autobiographie nous murmure « Longtemps j’ai détesté mon nom, comme si brûlait encore sur ma peau le fer rouge de l’inculture. » Pierre Perrin a-t-il eu honte de son nom ? Son texte est symptomatique de cette maladie bien française qu’est la haine de la province et de la campagne. Cette mère, elle est aussi la terre reniée, et qui s’emporte de ce reniement, quand le nom qu’il s’était choisi magnifiait son prénom à elle. Mais quelle rose est-elle ? Rose des jardins, ou rose trémière ?
- Quarante-huit articles ou retours de lecture pour Une mère, le cri retenu et cinq brefs extraits du récit
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- Étude par Daniel Guénette sur son blogue, 26 juillet 2024Quel embarras pour les historiens au moment de choisir les plus beaux extraits d’Une mère, les plus représentatifs de la qualité de l’écriture de l’auteur ! Sa prose est remarquable ; par moments, on croirait lire quelques-unes des plus belles pages du répertoire français.
- *
- Nouveaux retours courant 2023-2024 dont un article de Pascal Adamet échos d’Annie Christy, Michel Lamart, Patricia NeverTal, Aline Angoustures, sur Le Livre des visages
- *
- Marie-Christine Guidon, in Florilège n° 189, décembre 2022Avec ce « cri retenu », Pierre Perrin nous fait pénétrer son intimité et ses déchirements aux accents de confession. Même si « la littérature… ne peut rien contre la mort » « l’amour est presque aussi fort que la mort ». La virtuosité du verbe, telle une corde tendue, confère une valeur holistique à cet ouvrage bouleversant qui vient bousculer les certitudes les plus « encrées ».
- *
- Carmen Penarum offre sa lecture du récit de Pierre Perrin le 29 octobreElle écrit entre autres que Le cri retenu était celui de la mère que son fils accueille enfin
- *
- Onze nouveaux articles et retours durant 2022 [ordre décroissant]Michelle Ronin, Anne Cécile Lécuiller, Dan Burcea, Anne-Marie Meneguzzo, Béatrice Courraud, Arielle Burgelin de Hugo, Flora Fleur, Jacques Roland, Henri-Pierre Rodriguez, Fabienne Schmitt.
- *
- Trente extraits des principaux articles et retours [ordre décroissant]Le dernier qui fut le premier : « Lisez ce livre. » – Bernard Pivot, Apostrophes, 23 février 2001.
- *
- Jean-Pierre Poccioni, lecture d’Une mère [oct. 2018]En conclusion, un texte qu’il faut lire pour donner un sens véritable à l’expression souvent galvaudée de littérature inclassable. Car si le talent de Pierre Perrin est indiscutable et enchante ou surprend en permanence par mille découvertes stylistiques, ce qui reste est cet engagement quasi vital, cette forte et belle aventure humaine de l’écriture.
- *
- Murielle Compère-Demarcy, lecture d’Une mère [sept. 2018]Ce livre n’est pas seulement un « récit » autobiographique, puisqu’il s’adresse « à nos mères », à savoir à cette figure incontournable et mystérieuse de nos singulières mythologies personnelles. « Pour l’enfant de la campagne qui se croit indésiré », lit-on en quatrième de couverture, « l’affection est rare et rude, à la mesure du mutisme, etc.
- *
- Alain Nouvel, À la recherche d’Une mère perdue ?Le temps fait son œuvre d’effacer puis de ramener au jour, comme peuvent le faire les saisons ou les marées. Ce cri retenu et pourtant poussé comme pousse un arbre, peut enfin se lire. Mais c’est une lecture brûlante et tourmentée, comme le fut son écriture. Ce n’est pas une lecture de tout repos, ni fluide, c’est les méandres de la mauvaise conscience, de l’orgueil, de toutes les passions humaines, comme des montagnes qui rendent les sinuosités indispensables pour que le courant progresse.
- *
- Joëlle Pétillot, Deuxième lecture d’Une mère, 2017Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté. “Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
- *
- Françoise Roubaudi, Lecture d’Une mère, 2017Dans le livre de Pierre Perrin, Une mère, je cherche la mère, selon le titre. Elle apparaît souvent, bouleversante et rugueuse : « La nuit la surprenait à l’ouvrage, les bottes lourdes, les gants maculés de terre » (page 32) Et aussi : « Elle joint à sa lettre un brin de mimosa […] Ce brin, je l’ai regardé, senti et effleuré de mes lèvres, il est rempli de mes pensées et de mon amour, en attendant de vous redire mille fois que je vous aime
- *
- Marie-Josée Christien, Les Cahiers du Sens n°27, juin 2017En lisant ce récit poignant de Pierre Perrin, comment ne pas adhérer à cette pensée de Baudelaire : « Le poète est un enfant qui se souvient » ? Le poète Pierre Perrin est un enfant qui « lève le voile de l’oubli, plus lourd qu’un linceul » et se souvient de ce qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Il se souvient de son enfance rude, aux relents amers, de la sourde violence qui longtemps a occulté ses souvenirs
- *
- Note de Françoise Ruban sur son blogue, 8 novembre 2016
- *
- Note de lecture de Marie-Josée Desvignes [le 17.5.2016]Il est des livres qui réclament qu’on les rouvre à la première page, sitôt la dernière tournée. Il est des livres dont on ne comprend pas que l’on ait pu passer à côté sans les voir. Il est des livres qui longtemps nous suivent parce qu’ils parlent au-delà de l’âme, à ce qui, au plus profond de nous, n’attend que de se dire, dont l’écriture bouleverse tout autant que le propos. Une mère, Le cri retenu fait sans aucun doute partie de ceux-là…
- *
- Article de Philippe Leuckx sur revue Texture, 2016Les aveux sont nets et coupants comme seule la grande littérature peut inciser : s’il faut des comparaisons, citons Blesse, ronce noire de Louis-Combet ou La peau sur les os d’Hyvernaud ou encore La première habitude de Françoise Lefèvre. Puisque la grande littérature s’offre sans apprêts, glaçante s’il le faut, hallucinante de vérité…
- *
- Article de Marilyne Bertoncini dans Recours au poèmeDe son style-scalpel, Pierre Perrin fouille ses souvenirs, sculptant, remplaçant – par l’itération de ses boucles et reprises – l’éternité jamais atteinte de l’éternel retour. Par l’écriture, il redonne chair à un fantôme – et c’est la chair des ses mots. Par touches, comme un peintre…
- *
- Article d’Angèle Paoli sur Terres de femmes, 2015Un très beau livre qui touche en profondeur, tant par la qualité d’une écriture très personnelle que par l’exploration sensible des sentiments qu’elle donne à vivre. Et à partager. Une fois le livre fermé…
- *
- Lectures de Franck Balandier et Ève de Laudec, février 2016Au fil des interrogations adressées tout autant à sa mère qu’à lui-même dans le labyrinthe des possibles, on accoste aux nœuds de chagrin, que l’auteur tente de démêler. Il questionne sa mère plus librement depuis qu’elle est morte, et ce parcours d’écriture le conduit doucement à certaines réponses avec lesquelles il devra s’accorder, s’encorder.
- *
- Bernard Pivot, Didier Pobel et Claude Michel Cluny, 2002Dans l’art d’esquisser des fresques que ne renierait pas Courbet. Dans cette manière rude et douce à la fois, pieuse et révoltée aussi, de creuser des phrases comme des sillons que le narrateur traçait, enfant, cramponné aux manettes du tracteur “Pony”. […] Se souvient-on que ses bouleversantes Chroniques d’absence étaient déjà vouées à celle qui l’engendra ? On mesurera par ce rappel toute la constance d’un écrivain qui, à jamais l’œil rivé par-delà l’épaule du néant, offre à sa génitrice – et, partant, à toutes les mères – un poignant témoignage, tout à la fois révolté et apaisé, de fidélité filiale. « La sérénité réside dans la tâche accomplie. »
- *
- Pierre Ceysson, Christophe Dauphin et quelques autresJ’ai relu le Cri retenu. J’en ai retrouvé l’émotion faite de déchirement, de violence, de souffrance contenue que l’écriture cadre. Les textes poétiques sont remarquables de cristallisation sensible : sans doute, ce qu’il y a de plus “retenu”, donc de plus de plus dense et de plus “appellant” dans la lecture. Le tissage du cri (de la première à la dernière page), le début qui se rédime dans le dernier paragraphe ; le “dépecé”, le tas de fumier, les rats, le concret sous les doigts (dahlias) et le regard (séminaire, champs), les formules terribles et les titres venus de la “terreur initiale” et la culpabilité de l’abandon : tout cela m’a ému et me paraît solidement ancré profond
- *
- Marie-Françoise in le café littéraire luxovien, 2002Le Cri retenu, c’est celui que l’auteur voudrait qu’enfin sa mère entende à travers ces pages où il se livre, où il la livre, sans fard. Déplorant de lui avoir manqué, essayant après bien des années de la comprendre, de s’approcher par bribes de son secret emporté dans la tombe. Ces pages, il les écrit comme une confession : « L’admiration qu’elle méritait ne montait pas vers elle » ; « je t’ai martyrisée sans y penser, sans réaliser que ton cancer m’était dû. » De nature peu portée au rire…
- *
Tout le livre est de cette trempe, plein de paradoxes qui révèlent et cachent en un même geste. « Les vivants nous échappent, nous nous échappons à nous-mêmes », bien malin qui pourrait clôturer ce texte et se dire “C’est là”, en balisant de barbelés ou de « parpaings » ce qui échappe et fuit. « C’est pourquoi, mère, si souvent je me détourne de t’écrire […] Cette fausse vie, cette respiration d’emprunt, à la charge du lecteur, que permettent les mots, ne te serviront à rien […] » C’est que « le silence est inexpugnable », et que, surtout, la cathédrale que chaque paragraphe construit se doit de rester à l’état d’ébauche et de promesse, attendant pour jamais « la main qui les assemblera et l’œil de l’ultime contrôle. » La cathédrale, le mausolée, le tombeau doivent rester ouverts pour que la morte adorée reste vivante et chante et danse sous nos yeux de lecteurs-visiteurs.
Accomplir ce geste de t’écrire, tout en le sachant vain. Voilà l’entreprise folle d’un homme, d’un fils, après vingt ans d’absence à toi, à soi ? C’est que les graines de la rage et de l’amour prennent le temps qu’il leur faut pour germer. Et le récit reparaît à son tour, dix-sept ans après son écriture. Le temps fait son œuvre d’effacer puis de ramener au jour, comme peuvent le faire les saisons ou les marées. Ce cri retenu et pourtant poussé comme pousse un arbre, peut enfin se lire. Mais c’est une lecture brûlante et tourmentée, comme le fut son écriture. Ce n’est pas une lecture de tout repos, ni fluide, c’est les méandres de la mauvaise conscience, de l’orgueil, de toutes les passions humaines, comme des montagnes qui rendent les sinuosités indispensables pour que le courant progresse. Mais vers où ?…
Alain Nouvel, Le Livre des visages, 6 août 2017