Une lecture d’Une mère, Le cri retenu par Françoise Roubaudi
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  • Françoise Roubaudi
    Lecture d’Une mère, Le cri retenu, [juillet 2017]

    couv. Une mère, chez l’éditeur

    Archéologie. – C’est un moment très émouvant que celui où un archéologue met à jour un visage de pierre enfoui depuis des millénaires. Comme une caresse, il passe doucement et patiemment un pinceau pour déblayer la gangue qui la dissimule. Avec des gestes tendres, de ceux qu’on a pour un nouveau-né. C’est cet esprit de délicatesse que j’essaie d’avoir en lisant certains textes : pour dégager un portrait, un personnage enfoui sous trop d’autres portraits, trop de mots ou trop de commentaires.
    Dans le livre de Pierre Perrin, Une mère, je cherche la mère, selon le titre.
    Elle apparaît souvent, bouleversante et rugueuse : « La nuit la surprenait à l’ouvrage, les bottes lourdes, les gants maculés de terre » (page 32) Et aussi : « Elle joint à sa lettre un brin de mimosa […] Ce brin, je l’ai regardé, senti et effleuré de mes lèvres, il est rempli de mes pensées et de mon amour, en attendant de vous redire mille fois que je vous aime de tout mon coeur » (page 84, extrait d’une lettre à son fiancé). Mais, nous dit le narrateur : « Des petites gens, on ne conserve rien […] on assure que les fourmis entre elles témoignent de plus de bonté ». Rien ? Pourtant, il y a ce livre qui l’a saisie avec amour. L’archéologue narrateur, malgré une conscience un peu trop envahissante (ah, la culpabilité ! D’où le sous-titre Le cri retenu ?) et, à mon goût, trop de digressions et commentaires quant à l’écriture, a mis à jour une femme qui « aura traversé sa vie comme un continent, sans une confidence » (page 105) Surgit alors, parmi la description d’une société, d’une époque et comme d’un bas relief, le portrait de celle qui avait pour maxime : « Quand tout nous fuit, fortune, amis / L’Espoir du ciel nous est permis. » Merci, Pierre Perrin. [Françoise Roubaudi, Fb 14 juillet 2017]


    Réponse de Pierre Perrin

    Chère Françoise, je découvre à l’instant ta note à propos de mon Cri retenu. Je t’en remercie beaucoup. Par jeu, je reprends ta phrase de la page 27 de tes Cadavres invisibles [éditions Encre Fraîche, Genève, 2008] : « Trahir, mentir, tout est possible » et tu poursuis : « à qui faire confiance », sinon à toi, du moins de ma part. Me concernant, tu déplores l’espace pris par le sentiment de culpabilité et les digressions notamment sur l’écriture. Cet état du Cri était en effet un état primaire. J’aurais dû le retravailler plus que je ne l’avais fait au départ. Jean Orizet me l’avait pris de confiance, sans y trouver rien à redire, sans non plus accompagner la sortie, qui fut retardée de six mois, parce que le lecteur n°1 de la maison, Drachline, mort l’an dernier, publiait un récit sur le même sujet. J’ai beaucoup regretté la précipitation avec laquelle, malgré ce retard, cette publication a eu lieu. J’avais déjà refondu le texte pour en faire un vrai roman, avec des scènes, des personnages, en croisant mon récit-poème, Le Cri retenu, avec un roman antérieur. Cette refonte croisée, proposée un an plus tard à la Table Ronde a été lue mais, malgré des éléments favorables, Tillinac refusait mon travail. J’ai laissé reposé tout cela quinze ans. Je l’ai retravaillé encore et encore et cette nouvelle mouture, si différente du Cri, va paraître à son tour. — De ce fait, Une mère m’indiffère à demi, quoique son échec me cuise parfois. J’ai mieux vendu mes recueils de poèmes que ce récit ! — Dans ton roman, j’ai beaucoup aimé les dessous de la conscience dans le couple, mais pas seulement. Je me suis étonné que tu endosses un Je masculin. Je relirai ton livre. Si j’ai évoqué une faute, je te redis, comme il y en a une dans le mien, ce n’est pas pour te brocarder. Mais bon. Je me suis étonné par exemple de ton choix de métaphore, p. 63 : « le désert que cette faille semait autour de moi »… Tu crois qu’une faille peut « semer » ? Simplement, je deviens sensible à ce genre de détails, comme toi souvent tu me le laisses à penser. Ah, encore un mot : tu as jugulé ton christianisme dans ce volume, plus en tout cas que le fais sur Fb. Et donc j’ai bien noté : tu n’écris pas de poèmes, encore un étonnement, tellement certaines pages relèvent de la poésie en général, ce pour quoi d’ailleurs je te remercie. Porte-toi bien et prie Dieu qu’Il nous veuille absoudre. Je t’embrasse, si tu veux bien. [réponse de P.P. le 15 juillet 2017]


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