Marilyne Bertoncini, pour Recours au poème, 2015
Une Mère, Le cri retenu, Le Cherche Midi éditeur, collection Récit, 2001
On ne cesse jamais d’écrire sur les mères.
Mères aimées, haïes, perdues et regrettées : inépuisable topos littéraire, que ce lien à celle qui nous donna la vie, et dont l’existence conditionne la nôtre.
L’originalité singulière du récit de Pierre Perrin tient au fait qu’il est tout à la fois un récit presque documentaire sur la vie familiale et rurale dans la première moitié du XXème siècle, une réflexion héraclitéenne sur l’être et le passage du temps – qui « coulent entre les doigts » – et l’oeuvre d’un poète interrogeant son écriture.
Du premier chapitre (dont le titre est frappé comme un alexandrin) au dernier, dont l’injonction, « Oublie la fosse », clôt la boucle de sa quête, Pierre Perrin inlassablement reprend ses notes, ses photos, nous fait suivre le travail en cours et, dédaignant la chronologie, creuse ses souvenirs, comme on creuse une tombe, à partir du dispositif mis en scène dès l’incipit :
Les livres empilés de guingois retardent encore un peu le face à face dans la ténèbre. Avec les photos exhumées, triées parmi un petit nombre, et les papiers jaunis pieusement dépliés, le bureau est sens dessus dessous. Ma mère trône, à son corps défendant, sur un désordre qui l’épouvantait. Cependant je descends, la gorge sèche, dans le puits des années mortes. Pour peu que je ferme les yeux, des rats tout à coup couinent sous mes doigts et courent sur mes bras. Ils sautent sur ma tête. Parfois ils lèchent ma figure. La boue avec ses relents de charogne m’envahit les lèvres et les pieds, au sol, déjà font craquer des ossements qu’aucune lumière ne pourrait réanimer.
- Quarante-quatre articles ou retours de lecture pour Une mère, le cri retenu et cinq brefs extraits du récit
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- Nouveaux retours courant 2023Échos de Patricia NeverTal, Aline Angoustures, sur Le Livre des visages
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- Marie-Christine Guidon, in Florilège n° 189, décembre 2022Avec ce « cri retenu », Pierre Perrin nous fait pénétrer son intimité et ses déchirements aux accents de confession. Même si « la littérature… ne peut rien contre la mort » « l’amour est presque aussi fort que la mort ». La virtuosité du verbe, telle une corde tendue, confère une valeur holistique à cet ouvrage bouleversant qui vient bousculer les certitudes les plus « encrées ».
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- Carmen Penarum offre sa lecture du récit de Pierre Perrin le 29 octobreElle écrit entre autres que Le cri retenu était celui de la mère que son fils accueille enfin
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- Onze nouveaux articles et retours durant 2022 [ordre décroissant]Michelle Ronin, Anne Cécile Lécuiller, Dan Burcea, Anne-Marie Meneguzzo, Béatrice Courraud, Arielle Burgelin de Hugo, Flora Fleur, Jacques Roland, Henri-Pierre Rodriguez, Fabienne Schmitt.
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- Trente extraits des principaux articles et retours [ordre décroissant]Le dernier qui fut le premier : « Lisez ce livre. » – Bernard Pivot, Apostrophes, 23 février 2001.
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- Jean-Pierre Poccioni, lecture d’Une mère [oct. 2018]En conclusion, un texte qu’il faut lire pour donner un sens véritable à l’expression souvent galvaudée de littérature inclassable. Car si le talent de Pierre Perrin est indiscutable et enchante ou surprend en permanence par mille découvertes stylistiques, ce qui reste est cet engagement quasi vital, cette forte et belle aventure humaine de l’écriture.
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- Murielle Compère-Demarcy, lecture d’Une mère [sept. 2018]Ce livre n’est pas seulement un « récit » autobiographique, puisqu’il s’adresse « à nos mères », à savoir à cette figure incontournable et mystérieuse de nos singulières mythologies personnelles. « Pour l’enfant de la campagne qui se croit indésiré », lit-on en quatrième de couverture, « l’affection est rare et rude, à la mesure du mutisme, etc.
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- Alain Nouvel, À la recherche d’Une mère perdue ?Le temps fait son œuvre d’effacer puis de ramener au jour, comme peuvent le faire les saisons ou les marées. Ce cri retenu et pourtant poussé comme pousse un arbre, peut enfin se lire. Mais c’est une lecture brûlante et tourmentée, comme le fut son écriture. Ce n’est pas une lecture de tout repos, ni fluide, c’est les méandres de la mauvaise conscience, de l’orgueil, de toutes les passions humaines, comme des montagnes qui rendent les sinuosités indispensables pour que le courant progresse.
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- Joëlle Pétillot, Deuxième lecture d’Une mère, 2017Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté. “Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
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- Françoise Roubaudi, Lecture d’Une mère, 2017Dans le livre de Pierre Perrin, Une mère, je cherche la mère, selon le titre. Elle apparaît souvent, bouleversante et rugueuse : « La nuit la surprenait à l’ouvrage, les bottes lourdes, les gants maculés de terre » (page 32) Et aussi : « Elle joint à sa lettre un brin de mimosa […] Ce brin, je l’ai regardé, senti et effleuré de mes lèvres, il est rempli de mes pensées et de mon amour, en attendant de vous redire mille fois que je vous aime
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- Marie-Josée Christien, Les Cahiers du Sens n°27, juin 2017En lisant ce récit poignant de Pierre Perrin, comment ne pas adhérer à cette pensée de Baudelaire : « Le poète est un enfant qui se souvient » ? Le poète Pierre Perrin est un enfant qui « lève le voile de l’oubli, plus lourd qu’un linceul » et se souvient de ce qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Il se souvient de son enfance rude, aux relents amers, de la sourde violence qui longtemps a occulté ses souvenirs
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- Note de Françoise Ruban sur son blogue, 8 novembre 2016
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- Note de lecture de Marie-Josée Desvignes [le 17.5.2016]Il est des livres qui réclament qu’on les rouvre à la première page, sitôt la dernière tournée. Il est des livres dont on ne comprend pas que l’on ait pu passer à côté sans les voir. Il est des livres qui longtemps nous suivent parce qu’ils parlent au-delà de l’âme, à ce qui, au plus profond de nous, n’attend que de se dire, dont l’écriture bouleverse tout autant que le propos. Une mère, Le cri retenu fait sans aucun doute partie de ceux-là…
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- Article de Philippe Leuckx sur revue Texture, 2016Les aveux sont nets et coupants comme seule la grande littérature peut inciser : s’il faut des comparaisons, citons Blesse, ronce noire de Louis-Combet ou La peau sur les os d’Hyvernaud ou encore La première habitude de Françoise Lefèvre. Puisque la grande littérature s’offre sans apprêts, glaçante s’il le faut, hallucinante de vérité…
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- Article de Marilyne Bertoncini dans Recours au poèmeDe son style-scalpel, Pierre Perrin fouille ses souvenirs, sculptant, remplaçant – par l’itération de ses boucles et reprises – l’éternité jamais atteinte de l’éternel retour. Par l’écriture, il redonne chair à un fantôme – et c’est la chair des ses mots. Par touches, comme un peintre…
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- Article d’Angèle Paoli sur Terres de femmes, 2015Un très beau livre qui touche en profondeur, tant par la qualité d’une écriture très personnelle que par l’exploration sensible des sentiments qu’elle donne à vivre. Et à partager. Une fois le livre fermé…
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- Lectures de Franck Balandier et Ève de Laudec, février 2016Au fil des interrogations adressées tout autant à sa mère qu’à lui-même dans le labyrinthe des possibles, on accoste aux nœuds de chagrin, que l’auteur tente de démêler. Il questionne sa mère plus librement depuis qu’elle est morte, et ce parcours d’écriture le conduit doucement à certaines réponses avec lesquelles il devra s’accorder, s’encorder.
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- Bernard Pivot, Didier Pobel et Claude Michel Cluny, 2002Dans l’art d’esquisser des fresques que ne renierait pas Courbet. Dans cette manière rude et douce à la fois, pieuse et révoltée aussi, de creuser des phrases comme des sillons que le narrateur traçait, enfant, cramponné aux manettes du tracteur “Pony”. […] Se souvient-on que ses bouleversantes Chroniques d’absence étaient déjà vouées à celle qui l’engendra ? On mesurera par ce rappel toute la constance d’un écrivain qui, à jamais l’œil rivé par-delà l’épaule du néant, offre à sa génitrice – et, partant, à toutes les mères – un poignant témoignage, tout à la fois révolté et apaisé, de fidélité filiale. « La sérénité réside dans la tâche accomplie. »
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- Pierre Ceysson, Christophe Dauphin et quelques autresJ’ai relu le Cri retenu. J’en ai retrouvé l’émotion faite de déchirement, de violence, de souffrance contenue que l’écriture cadre. Les textes poétiques sont remarquables de cristallisation sensible : sans doute, ce qu’il y a de plus “retenu”, donc de plus de plus dense et de plus “appellant” dans la lecture. Le tissage du cri (de la première à la dernière page), le début qui se rédime dans le dernier paragraphe ; le “dépecé”, le tas de fumier, les rats, le concret sous les doigts (dahlias) et le regard (séminaire, champs), les formules terribles et les titres venus de la “terreur initiale” et la culpabilité de l’abandon : tout cela m’a ému et me paraît solidement ancré profond
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- Marie-Françoise in le café littéraire luxovien, 2002Le Cri retenu, c’est celui que l’auteur voudrait qu’enfin sa mère entende à travers ces pages où il se livre, où il la livre, sans fard. Déplorant de lui avoir manqué, essayant après bien des années de la comprendre, de s’approcher par bribes de son secret emporté dans la tombe. Ces pages, il les écrit comme une confession : « L’admiration qu’elle méritait ne montait pas vers elle » ; « je t’ai martyrisée sans y penser, sans réaliser que ton cancer m’était dû. » De nature peu portée au rire…
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Exhumation cyclique, au rythme de l’écriture, et du style de l’écrivain, ici superbement proche de l’étymologie. De son style-scalpel Pierre Perrin fouille ses souvenirs, sculptant, remplaçant – par l’itération de ses boucles et reprises – l’éternité jamais atteinte de l’éternel retour. Par l’écriture, il redonne chair à un fantôme – et c’est la chair des ses mots. Par touches, comme un peintre (et la première macabre et forte image m’évoque L’Enterrement du Comte d’Orgaz et la peinture baroque d’El Greco) il recompose, recrée, exhume et ressuscite une femme, cette femme que fut sa mère. De belles pages évoquent l’enfance sacrifiée de cette fillette tôt enlevée à l’école, victime de cet "attentat à l’intelligence" qui frappe une moitié de l’humanité – privant celle-ci d’une partie de son génie, assigné à d’absurdes limites : Engluées de religion, ces filles à l’école arrachées ne manquaient pas de plume. C’est à reconsidérer jusqu’à l’exercice du talent. (p.21) Le fils n’en manquera pas – qui lui offre ici ses propres mots pour la “désincarcérer”.
Puis, on suit la femme amoureuse, la mère rude et travailleuse, aimante sans doute mais manquant des mots nécessaires à la sensibilité de son fils, à son insatiable besoin d’être aimé… – On suit l’auteur dans sa recomposition du paysage mental et des souvenirs maternels, dans un récit à la tonalité souvent élégiaque, où le décor vécu par le biographe souligne la mélancolie de cette vie qui a passé et dont il reconnaît si tard la valeur en soi, la valeur pour lui – à travers de magnifiques images, précises et précieuses dans leur rusticité :
Les dahlias que le gel a versés, émondés de leurs fanes noircies, enlevés de terre, semblent moins impénétrables que tes secrets […] Et à travers les troncs et l’envol suspendu de leurs branches, comme si l’on écartait de l’intérieur les plumes d’un héron cendré, la lisière soudain céruléenne semble promettre la mer, quoiqu’il manque le sel, qui brasse les narines, et que les mouettes restent noires qui craillent par intervalle, tandis qu’aux derniers mètres, sous le soleil, se reposent les prairies, le mirage dissipé. (p.25)
Tout comme ce mirage dissipé, ce corps de la mère, enveloppé du linceul de l’oubli, du suaire des mots, comme la mer entrevue – “comme si” : le poète qui parle connait « ce souffle coupé, ce tremblement, cette dilatation » de l’apparition poétique – épiphanie de sa muse. Et sa muse est sa mère, et cette muse est morte, incomprise « petite statue de mots tus ».
Une Mère est un chant d’amour triste et à jamais déçu. Le poète, inversant le mythe, a beau, nouvel Ulysse, tisser ses mots “orphelins” tirer les “fils”, pour retrouver sa mère, il sait que « les retrouvailles n’auront jamais lieu », quoiqu’il couse, à partir de ce travail de rapiéçage, de patchwork à l’envers, qu’il poursuit, sous l’égide de la machine à coudre de sa mère (p. 95) :
Encore cinq semaines sans une ligne. Ce livre aura décidément tout de la chaîne ou de la cotte de mailles ; ce ne seront que des trous mis ensemble, des lèvres sur des lèvres, des mots pour combler, conscient de l’impossible, le vide.
La dimension tragique de ce récit se double d’un portrait – sans concession – de l’artiste, usant à son propre égard d’une ironie mordante et cruelle, d’une constante et douloureuse auto-dérision. J’ai parfois pensé, à lire sa description de sa propre jeunesse, à la fustigation rousseauiste des Confessions. Les mots qui manquèrent jadis pour dire l’amour, désormais sont un silice pour l’écrivain, retraçant son parcours. Il porte le poids d’une faute qu’il ne peut racheter : je t’ai martyrisée sans y penser, sans réaliser que ton cancer m’était dû. Je te survis, dépecé. Comme Dyonisos, dieu-enfant dépecé et deux fois né, il reste au fils à assumer sa solitude, sa filiation d’ours, à poursuivre sa quête de lui-même. Il lui reste à assumer la Passion (au sens propre) vécue par cette mère, ignorée, reniée, trahie – figure christique à la tête flagellée, portant sa fourche comme une croix (p.98) dans une inversion des symboles – temps et fonctions s’emmêlant dans l’écriture – d’où sourd cette superbe image nervalienne : « Éclôt dans la mort une rose trémière, et je dois me hisser sur la pointe des pieds pour l’embrasser enfin ». (p.69)
On ne referme pas indemne le livre de Pierre Perrin : tous, nous gardons en mémoire, comme les fleurs séchées entre les pages, d’autres trahisons, d’autres oublis, auxquels il nous renvoie. Certes, comme l’écrit l’auteur : « Ce livre aussi terminera sa course, mais peut-être restera-t-il à travers ces pages, comme un parfum qui s’étiole sans tout à fait mourir malgré la nuit, un peu des gestes, des lèvres, de l’âme de ma mère que j’aurai cette fois tenue entre mes bras, je crois, jusqu’à son dernier souffle. » (p. 140) On ne peut que souhaiter qu’un peu de ce parfum puisse atteindre encore l’âme de nouveaux lecteurs : dans un paysage éditorial où les titres s’effacent à mesure qu’ils arrivent, il me semble important de rappeler ce beau texte sincère, qui réalise sans doute ce que l’auteur, à qui nous laissons les derniers mots, évoque comme une hypothèse :
« Il se peut que nous écrivions et que nous lisions certains livres pour devenir justement ce que nous sommes » (p. 150)
Marilyne Bertoncini, pour Recours au poème, 2015