Pierre Perrin, Un voyage sédentaire
[carnets, L’amour, extraits, I]

L’amour, c’est le leurre, la douleur. L’espérance façonne une prison dans laquelle le prisonnier se vit amputé de l’autre. La présence, qu’il attend en se retenant de courir ou qu’il vient de perdre et qui le met à genoux, borne son horizon. Tout le tenaille, l’absence l’écartèle, l’angoisse ne cautérise plus.
Quand même la jouissance mâle est brève, on n’est pas triste après l’amour. Le partage a excité jusqu’à l’âme. Autrefois, croyant aimé, le désir sur ses ergots, la caresse étudiée, on ne s’arrachait que d’un instant ; tout son être se refaisait aussitôt.
Où s’achevaient la peau, la voix, les nerfs tout à leur navette, voici que l’être, comme s’il était sollicité dans ses extrêmes, révèle la personne ; il la transfigure. L’amour au cur, le désir ébroué de tendresses que n’arrête aucune audace et que rien ne presse, le plaisir doublé de ses transmutations réciproques, tout parachève le don.
Les pupilles dilatées, le souffle fort comme un continent en marche, l’ensemble des blottissements sans nombre où les caresses sémaphorent, dans les reins qui se cambrent, traversés comme des cataractes, chacun monte à son gré, se repose, repart. Seule la plénitude intime le plus doux des ordres.
L’amour fait des amants un miroir capital. Le temps décuplé, qui les éternise nus, presse si fort la mort que celle-ci ne cache plus aucun danger ; elle s’institue mer porteuse et juste ce qu’il faut salée à la mesure du bonheur partagé. Ce bonheur dit assez l’égarement de l’esprit. — Lire la suite
Un voyage sédentaire, notes, éditions Possibles, 1986