Retour de lecture par René de Ceccatty, Michel Leuba et Alain Nouvel sur Des jours de pleine terre de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Courriel de René de Ceccatty, lettre de Michel Leuba et article d’Alain Nouvel

    couverture

    Cher Pierre, je suis impressionné par votre livre de poèmes, qui est à la fois une autobiographie intense et discrète et un manuel de sagesse. Vos poèmes sont remarquablement fluides et riches. On les lit vite, parce qu’ils ont l’élégance de ne jamais peser, même si chaque phrase a un poids d’expérience et de lucidité. Vous avez construit l’ensemble comme un long parcours, avec parfois des haltes et souvent des raccourcis, mais toujours une profonde méditation sur le temps et l’illusion, sur les bonheurs aussi. Vos poèmes érotiques ne sont pas les moins profonds, car ils sont habités par l’amour, tout comme le poème que vous adressez à votre fils. Les paysages si présents donnent à cette traversée du temps, à ce témoignage sur les siècles contemporains, une vibration et une continuité rares chez les poètes. Votre attention généreuse aux autres poètes qui apparaissent dans les exergues ou dans les adresses est à l’image de votre vie, de ce que j’en sais. Le poème sur Courbet est très bouleversant et à lire en écho à votre roman. L’indifférence de notre monde à lui-même est révoltante et plusieurs de vos poèmes protestent froidement contre cet ordre des choses que vous observez et résumez de manière cinglante, mais jamais totalement désespérée. Il est difficile d’écrire sur la poésie et encore plus d’en écrire à un poète. Pardonnez ma maladresse. Je vais vous relire. Avec mon amitié et ma reconnaissance pour votre confiance et votre dédicace si modestement écrite au crayon.

    René de Ceccatty, courriel, 12 janvier 2023


    Je viens de terminer une première lecture de Des jours de pleine terre. Sous l’eau claire de votre facture, on vous sent tout présent : peintre, musicien, philosophe, conteur [liste non exhaustive]. Bref, à l’instar d’un Valéry, créateur, par l’idée, le Travail et la forme, de votre beauté littéraire. C’est du Perrin, peut-on affirmer, en dégustation à l’aveugle, même en l’absence de tout air de flûte. J’admire votre constante dévotion à l’autel de la Poésie ; elle vous assimile, par création continuée, à l’Auteur de la véritable « origine du monde », plus divine et moins suggestive que celle de votre ami Courbet. Offrez-nous, s’il vous plaît, de nouveaux poèmes en prose ou/et de courtes nouvelles, évitant ainsi les remplissages de genre qui rendent le roman pesant. À l’heure des sms et du zapping, l’attention vire vite à l’ennui. Une formule comme « L’amour, c’est le oui-clos » vaut toutes les descriptions ; une autre, tout aussi concise mais plus dangereuse, « le rat Merah », une comparution en correctionnelle. — Michel Leuba, lettre du 23 janvier 2023

    Le journal intime d’un homme en colère

    Difficile de donner une vision d’ensemble d’un massif poétique s’érigeant de 1969 jusqu’en 2022. De multiples sujets y sont abordés, pour certains intimes, et qui connaît Pierre Perrin reconnaîtra facilement des épisodes racontés sous un autre angle dans son ouvrage autobiographique Une mère Le cri retenu, pour d’autres appartenant à l’actualité la plus contemporaine, comme la guerre en Ukraine, ou « sur un cliché qui a ému le monde », le corps de cet enfant migrant gisant sur une grève.
    Mais ce qui unifie le tout, c’est un regard, une révolte, une façon de dire « non » à l’ordre des choses et du monde, et en cela, ce texte est « poétique » au sens étymologique du mot, parce qu’il crée, non pas un monde, mais ce désir d’un monde autre.
    Une poésie non pas tout à fait sans musique mais sans mélodie, une poésie percussive. Un peu comme Nietzsche philosophait à coups de marteau. On y chercherait en vain la rythmique classique des vers, même si elle se présente versifiée, la plupart du temps.
    « À Jean-Jacques aussi, précoce à ce point attardé que,
    Lisant Horace à cinq ans dans le texte, à cinquante,
    Embarrassé de sa pisse, il reste le copiste qui s’interdit
    De mendier une pension. Moi non plus.
     » (P.119)
    Les mots-valises, comme « Occidécadentaux » ou « islamopithèques » entraînent très explicitement vers la satire et il y a, de fait, quelque chose de profondément satirique dans cette poésie, même si aucune opinion politique n’y est clairement affirmée. Une peur de la décadence, peut-être celle de la mort, après Paul Valéry qui a dit « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » ?.
    Pierre Perrin pose des questions brutales rugueuses, polémiques : « Quelle consolation apporte à un cadavre l’âme ? » ou encore, parlant de Facebook qu’il connaît bien :
    « […] Qui outrepasserait l’écran ? 
    Chacun est facebooking, harassé. Éteignez l’écran, il
    Se rallume. Toujours ailleurs, chacun gère son complot,
    Son ragot, son garrot, son fagot, son rigoletto, ses totaux
    Rauques. Totaux de clics ? Un cliquetis de dents, dehors
    […] » (p. 118)
    À ces critiques acerbes répondent « trois épures une fresque », dédiées à René Guy Cadou, Jacques Réda et Jean Pérol. Trois presque sonnets pour des maître vénérés. Plus tard, « Gisant debout », un hommage à René Char, « « sans doute dernier grand poète français du XXe siècle » … Il y a, par ailleurs, tant de faux prophètes et de faux poètes !
    Mais la colère de Pierre Perrin vient de plus loin que ces impostures contemporaines,
    « Entre naître et n’être rien, le cri, le silence
    […] Rien, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier seul
    L’infini particulier d’une éclipse de mort ?
    […]Écrire à la craie devrait suffire sur une ardoise où lire
    La tendresse
     » (P. 129)
    Cette colère, de façon très étonnante, peut se métamorphoser en tendresse comme on vient de le voir, ou encore en appel désespéré « Au vainqueur » : « S’il te plaît, n’achève pas qui s’enfonce dans la nuit. » ou en cette résignation devant la force des choses : « Nature reste reine chez elle, qui tout emporte. » ou en cet amour pour l’Enfant : « Je me coucherai pour le bonheur de te savoir rester debout. »
    Dans cette somme poétique, on retrouve un goût certain pour la parataxe, un style qui se veut classique, sans gras, à l’os. « Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt », un usage surabondant du présent de vérité générale, celui même des Maximes et Proverbes des Moralistes français : « En sacrifiant à la réussite, aux sournois exercices du pouvoir, chacun écrase les idées de traverse. La raison châtre les illusions. Des remords restent dans la gorge. Les nouveaux prêtres d’aujourd’hui ne délivrent personne. Le consumérisme pollue. La poésie n’est pas remboursée. ».
    Mais derrière cet apparent classicisme, le baroque de métaphores parfois provocantes, étranges, hyperboliques :
    « chaque séparation
    Pire que si chacun s’était dépecé vivant sans un mot
     »
    « qui regrette
    D’avoir battu ses paupières mieux qu’un briquet
    Sur cet envol des jours
     »
    « L’église fermée, la morale reste ouverte pire qu’un rasoir »
    « Le blé qui tire vers le soleil
    Éjacule sous la dent
     »
    Et derrière cette apparente dureté, une générosité qui se réserverait pour d’autres causes. « L’Équilibre », par exemple : « un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue que l’on peut l’être dans sa peau. (…) Le poète à maturité ne se demande pas d’où lui arrive la voix ; il travaille de son mieux la merveille et l’épouvante, le dégradé entre les deux et il respire ; il fend l’air de son existence. »

    Alain Nouvel, note parue sur la revue en ligne Recours au poème, le 24 janvier 2023

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