Article d’Olivier Stroh sur Des jours de pleine terre de Pierre Perrin, le 26 mars 2023
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  • Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Un article d’Olivier Stroh sur sa page Lettres

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    C’est l’œuvre de toute une vie, celle d’une existence dédiée à la littérature et à la beauté des mots. Les poèmes que Pierre Perrin, également directeur de la revue littéraire exigeante Possibles, publie dans son recueil Des jours de pleine terre, il les a écrits entre 1969 et 2022. Des textes de prose poétique s’apparentent à des fragments de souvenirs faits de mots et de sens. « Le souvenir est poésie et la poésie n’est autre que souvenir » a écrit Giovanni Pascoli dans ses Premiers poèmes. Il n’est pas à douter que Pierre Perrin se rappelle aujourd’hui la genèse, les conditions d’écriture, les fulgurances de tous ses poèmes composés sur plus de trente ans et rassemblés aujourd’hui pour la plus grande joie du lecteur.

    Une vie ne suffirait pas

    Il y a de la réflexion sur le sens de la vie, de toutes nos vies, sur toute leur durée, dans ces morceaux de littérature profonde. Les différents âges de l’existence, avec une focalisation sur la naissance et l’enfance, mère de tout homme et toute femme, sont embrassés d’un seul geste : « oublie-t-on la maison d’enfance ? » (poème L’envol des jours). Mais on pense aussi au poème À l’enfant dans la cinquième partie. L’auteur dresse une poésie des âges de la vie, où l’enfant est saisi sur le vif, dans ses « timidités ». Il n’est pas innocent que celui-là ait intitulé la première partie de son recueil « Marche à vie », posant là son ambition de peintre minutieux de nos passages précaires sur Terre. Ces vies, dans les poèmes de Pierre Perrin, se passent à la campagne, dans les villages ou dans les villes, avec les travaux à la ferme racontés de manière poignante. On y entend les cloches sonner le glas à La Toussaint. On se délecte de la saison de l’été. On y éprouve une passion tarie (La paix au large). La vie, cela y est aussi l’attente, mais l’attente de quoi ? « On attend tout, quand même on le nie. Il reste si peu d’une vie. » (Attendre, est-ce vivre ?)


    Du lyrisme à l’amour

    Il y a aussi du lyrisme dans ce recueil. L’exaltation des sentiments ne va pas, dans certains poèmes, sans un rapport bucolique avec la nature, réceptacle des émotions chantées. Tout y est dit dans un « silence fertile », pour reprendre un titre. Et force est de constater que Pierre Perrin interroge, dans son lyrisme empreint des grands poètes du XIXème siècle, la passion phare de la littérature, qu’on subit étymologiquement, emportés par elle : l’amour. La troisième partie est ainsi titrée « Ombre de nos amours », posant la nostalgie que celui-ci inscrit dans le cœur du poète et de chacun. L’amour est peint avec toute la palette des couleurs de cette impression insondable, exalté comme quand Pierre Perrin écrit qu’on court quand on vit la passion (Passion), fragile dans le poème L’Amour dépecé, soumis au temps qui passe : « Ne prends pas ombrage de mes pauvres paroles, C’est la meule du temps qui grince », érotique dans des odes à la femme éloignée, amoureuse, femme, amante (Le Réfractaire, Ève quaternaire), et même comparé aux fleurs et aux oiseaux (on retrouve la nature miroirs de nos affects dans le poème Évidence). Cette forme d’amour retenu, platonique, spirituel qu’est l’amitié n’est pas oubliée dans le livre, qui s’y vit comme l’essence de nos existences : « Adolescent, je concevais l’amitié comme une grâce. Avoir n’occupait aucune place. Etre seul était requis. » (Amitié) L’amour, l’amitié, la passion, les sensations y sont habités dans les corps, cette architecture inouïe auquel le poète consacre parmi ses plus belles pages.

    Une poésie aussi engagée

    Il y a une hauteur de vue sur le spectacle du monde, engagée, au service de la grande Histoire, impliquée dans son temps et ses enjeux. Essentiellement présente dans la quatrième partie « De notre monde sans tain », celle-ci couvre tous les grands champs géopolitiques de manière poétique : un poème qui date de février-avril 2022, tout récent donc, sur la guerre en Ukraine (« L’aube ouvre le cercueil, le silence couvre les tombes ») ; un autre sur les réfugiés, victimes de notre monde déréglé ; un troisième qui date du 4 juin 1989 sur le soulèvement de la place Tian’an men, poignant ; un dernier enfin, écrit le 11 novembre 1998, 80 ans après l’armistice de la Première Guerre Mondiale, dans lequel Pierre Perrin rapporte le « Plus jamais ça ! » des « survivants [qui] jurent encore devant le monument ».

    Des actes uniques d’écrire et de lire

    Mais il y a surtout de la poésie sur la poésie dans cet ouvrage profond, une peinture de l’acte d’écrire et de lire pris d’un seul geste. La deuxième partie est titrée « Qui ne doute pas jamais ne dépasse ». Pierre Perrin présente l’acte poétique comme posant plus de questions qu’il n’apporte de réponse. Passé, présent, futur ; souvenir, existence, postérité sont appréhendés de manière magistrale en un seul mouvement, une seule réflexion pour qui veut écrire : « Ecrire, c’est ériger la vie en présent perpétuel. Mais l’avenir pour un poète ? Le temps d’être lu. » C’est en étant contemporain de son temps, de son inspiration, de ses émotions que le poète a quelque chose à dire à l’oreille du lecteur de ce genre littéraire. En même temps qu’il a quelque chose à dire de la littérature qui l’a précédé. Tout poète est ainsi un lecteur. Pour Pierre Perrin, ce sont les œuvres de René-Guy Cadou, Jacques Réda, Jean Pérol (« Il n’est d’asile que l’exil »), René Char à qui il rend hommage dans Gisant debout : « L’aimer, c’est le relire non plus en aveugle ni à genoux, Mais pour le grain de son poème. » Pierre Perrin est ainsi un lecteur amoureux. Des belles lettres. De la poésie profonde, notamment du XXe siècle. Et il sait se faire spectateur de peinture aussi, comme avec la peinture de Courbet, l’ami de toutes les couleurs.

    Un ouvrage de poésie majuscule

    Dans Des jours de pleine terre, Pierre Perrin « ouvre la porte » au poème, aux poèmes, dans une poésie faite autant pour être lue que pour être dite, avec sa musicalité, ses figures de style (nombre de comparaisons et de métaphores jalonnent ces pages), son ton lyrique qui inscrit l’écrivain de cet opus dans la tradition aussi bien des poètes lyriques du XIXe siècle que celle des novateurs du XXe. Néanmoins, il ne faut pas en douter : celui-ci a les deux pieds dans la glaise de notre XXIe siècle, faisant de ces écrits qui courent sur 53 ans des témoins de poésie du temps long. On y sent tour à tour de l’extase et de la nostalgie, de la violence contenue et de la sérénité, de l’émerveillement et de la douleur, de l’ancrage dans le temps présent et de l’exaltation du souvenir : « Plus fort que le passé, le présent seul emporte l’avenir. » (Le Lit bien tempéré) Dans Apprendre à laisser, le poète se retourne sur une vie entière et demande de manière puissante : que fait-on à l’article de la mort ? Seul l’aède inspiré semble le savoir. Et encore, nous n’en savons rien, tant sa poésie est celle du doute, hérité de Montaigne.
    Tout fait poésie dans ce recueil : les lectures profondes comme la vue d’un oiseau, le temps qui passe comme la réflexion sur la mort, l’amour comme la nostalgie, la paix à la lisière de laquelle le poète se tient comme le souvenir de la guerre, l’appel à son prochain comme la peinture d’une vie, sa vie propre. Ainsi le recueil s’achève-t-il sur un Salut autobiographique : « Ne cherchez pas ma tombe. Les herbes l’auront recouverte. Et c’est bien, Ce cycle qui m’emporte, tandis que je pense à vous dans les siècles futurs. » En refermant ce livre, le lecteur pensera longtemps au poète voyant qu’est Pierre Perrin.

    Olivier Stroh, 26 mars 2023, sur sa page Lettres

    Olivier Stroh dans Lisez berryOlivier Stroh est auteur (publié par La Geste éditions, La Bouinotte, nouvelles dans diverses revues et chez divers éditeurs), critique (animateur de l’émission littéraire bi-mensuelle de la télé du Berry, ancien journaliste au magazine Lire et auprès de François Busnel), spécialiste de l’œuvre de Pierre Loti, enseignant de Lettres modernes (ancien chargé de TD à la fac de Châteauroux), diplômé de la Sorbonne et de Sciences Po Rennes.

    Dossier dans la revue Livr’arbitres n° 41, mars 2023

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