Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
Retour de lecture par Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022

Dans un recueil de poèmes comme celui-ci bouturé de longue haleine sur plusieurs saisons, on peut facilement trouver les indices familiers d’une sensualité menée à son acmé autant qu’à sa défaite.
Toute rose trémière qui s’érige ne donne pas à chaque fois toutes les fleurs espérées, mais le mouvement naturel se réitère, un peu fou, il s’exalte et prend tout son temps, même court, pour faire surgir le miracle en même temps que son déclin. On ne retient ici que le réceptacle verbal et lyrique qui est le souvenir de quelque chose de parfait et de réellement vécu. On le souhaite ardemment.
L’Amour ramené au couple laisse des traces vives et des blessures inavouables quoique très bien supportées. Désir, cet enfant de Bohême n’est pas une invention de poète, il est le rejeton indomptable d’une promesse et d’un passage à l’acte.
Rien n’est plus cavalier et aérien qu’un amour qui caracole dans l’imaginaire et qui féconde son plaisir. La femme magnifiée dans ses atours ensorcelants devient une amazone sans arc que le temps prend à témoin devant le seuil des escapades et au-delà... y compris dans la poussière à peine suffocante des départs inopinés ou définitifs. Il y reste la lumière du mirage et la sensation du zénith. Comment se plaindre ?
L’humeur se gâte pourtant aux abords des événements de civilisation et de ses actualités ataviques et fracassantes. Il n’y a même plus grand-chose à espérer en quittant le registre du : c’était mieux avant, au temps des adjuvants…
- Des jours de pleine terre, Al Manar, octobre 2022, le recueil, les lectures, etc.
La présentation du volume chez l’éditeur
- Une page récapitulative des principaux retours, articles, dossiers et signatures
- Une note de lecture par Gwen Garnier-Duguy, in Littérature(s), Juillet 2024
- Un article par Paloma Hidalgo dans Esprit, mai 2024
- Une note de lecture par Pierrick de Chermont [3 septembre 2023
- La lecture du dossier Pierre Perrin dans Poésie/première n° 86 par Jeanne Orient
- Une lecture des deux premières sections du recueil par Yveline Vallée [août 2023]
- Réalisé par Isabelle Lévesque, un entretien pour Terre à ciel, juillet 2023
- Sept retours de Jean-Pierre Georges, Emmanuel Godo, Fabienne Schmitt, Jacqueline Saint-Jean, Raymond Perrin, Colette Fournier et Alain Duault
- Un dossier [article et entretien], dans la revue Livr’arbitres n° 41, mars 2023
- Un article d’Olivier Stroh, sur sa page Lettres, 26 mars 2023
- Les hautes terres de Pierre Perrin, par André Ughetto [12 mars 2023]
- Un article par Alain Roussel sur le site En attendant Nadeau, 8 mars 2023
- Une étude d’Emmanuelle Caminade, pour L’Or des livres, le 26 févier 2023
- Article de Ridha Bourkhis dans La Presse de Tunisie, le 23 février 2023
- Poème Hommage à René Char lu par Pierre Perrin [vidéo 1,31 mn]
- Courriel de Philippe Colmant, 7 février 2023 et courrier de J. M. Sourdillon
- Article de Daniel Guénette sur son blog québecois le 31 janvier 2023
- Courriel de René de Ceccatty, lettre de Michel Leuba et article d’Alain Nouvel sur RAP
- Jeanne Orient, texte et présentation vidéo de 6 mn 10, 19 janvier 2023
- ‘L’atelier’ lu par Marilyne Bertoncini [vidéo de 1 mn 50]
- ‘Force de l’ignorance’ lu par Catherine Humbert [vidéo de 2 mn 23]
- Jacques Morin, article pour revue Décharge, 27 décembre 2022
- Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022
- Retours de Virginie Megglé, d’Émile Eymard, Danièle Corre, Milouine, Marie Desvignes et Jean-Claude Martin, nov-déc. 2022
- Un choix de six poèmes par Georges Guillain, le 13 nov. 2022
- Une lecture de Georges Guillain, le 10 novembre 2022
- Une lecture de Didier Pobel, le 5 novembre 2022
- Une lecture de Gérard Mottet, le 31 octobre 2022
- Une lecture de Philippe Leuckx, le 30 octobre 2022
- Pierre Perrin, Envoi pour Des jours de pleine terre
- P. P. Éloge de la poésie [et comment je suis venu à elle]
Le poète excédé ne sait plus par quels mots prendre le malheur sous les aisselles pour l’extraire de la boue noire des douleurs, il lui faut trouver des causes et faire l’inventaire des circonstances, mais la lassitude et l’amertume viennent vite aux basques du propos.
La colère s’immisce, elle est inévitable, quelque chose se dérègle dans la mélodie du bonheur et les forces se rassemblent dans un cri de rancœur ravalée, plutôt fier.
Point de capitulation devant l’inéluctable déraison du Monde, le remède est un poison qui s’inverse dans l’alphabet des patrimoines, inlassable, il lui faut chercher, la formule par rafales de phrases, la distiller sous la houlette des autres poètes, trouver les résonances composites, tous les principes actifs visibles de la rebuffade inventive, créer du sens et de la beauté fraîche sous sa lampe-tempête.
J’y vois comme une tenue stricte de journal de bord pour un navigateur, il lui faut faire le point de jour comme de nuit, laisser filer la proue sans trop l’entraver de doutes. Il sait que c’est difficile, mais ne l’ébruite pas, comme on épargne aux proches un pressentiment, afin d’ajourner leur assombrissement, et puis prendre sur soi les premières ombres des vagues sombres. Rester celui que rien n’étonne, mais qui prend de plein fouet les violences comme des impatiences illégitimes entre ses bras ouverts, prêt à les enfourner dans le gouffre de l’impuissance, il voudrait peut-être nous en débarrasser.
Mais bien sûr, ça foire, la lectrice que je suis n’a pas pris la mer au même endroit. Il lui a fallu plusieurs semaines pour appareiller dans ce livre de vie impatient, intrépide. Certes, elle y a admiré sa prestance de galion raffiné aux volumes de bibliothèque généreuse et éclectique, mais en restant plutôt du côté des cuisines, des remises à victuailles et des cales. Elle a guetté moqueuse, les bruits de cœur tapageurs à travers la paroi des cabines d’acajou. Elle a attendu la fin de la fête à flots et à mots pavoisés pour sourire d’indulgence, de connivence approximative et de gratitude. Elle n’a pas quitté le rafiot, est descendue à quai très dignement, le pied rassuré sur la terre ferme. Elle n’a pas eu le mal de mer, c’est déjà çà. Elle a fixé l’horizon sans ciller, jusqu’au bout.
La poésie n’apprend pas à naviguer mais elle sert à flotter sur le radeau des dérives, elle n’a pas d’obligation de résultat. Elle bouchonne au-dessus des silences précieux, elle scintille au soleil et disparait au moindre revers de chance. Elle n’est pas fiable, elle est sans pourquoi comme la rose. Aussi malléable qu’une étoile de mer au fond de l’eau.
Pour la remonter à la surface et au jour, il y faut des précautions. Ce livre a tenu ce pari, c’est pourquoi il a accosté dans les librairies. Je l’ai corné à bien des pages où des perles de langage ont été déposées. Je ne vais pas vous aider, vous irez vous-mêmes les chercher. On ne refait jamais le même voyage et c’est une bonne nouvelle
Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022