Retour de lecture par Marie-Thérèse Peyrin sur Des jours de pleine terre
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  • Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Retour de lecture par Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022

    couverture

    Dans un recueil de poèmes comme celui-ci bouturé de longue haleine sur plusieurs saisons, on peut facilement trouver les indices familiers d’une sensualité menée à son acmé autant qu’à sa défaite.
    Toute rose trémière qui s’érige ne donne pas à chaque fois toutes les fleurs espérées, mais le mouvement naturel se réitère, un peu fou, il s’exalte et prend tout son temps, même court, pour faire surgir le miracle en même temps que son déclin. On ne retient ici que le réceptacle verbal et lyrique qui est le souvenir de quelque chose de parfait et de réellement vécu. On le souhaite ardemment.
    L’Amour ramené au couple laisse des traces vives et des blessures inavouables quoique très bien supportées. Désir, cet enfant de Bohême n’est pas une invention de poète, il est le rejeton indomptable d’une promesse et d’un passage à l’acte.
    Rien n’est plus cavalier et aérien qu’un amour qui caracole dans l’imaginaire et qui féconde son plaisir. La femme magnifiée dans ses atours ensorcelants devient une amazone sans arc que le temps prend à témoin devant le seuil des escapades et au-delà... y compris dans la poussière à peine suffocante des départs inopinés ou définitifs. Il y reste la lumière du mirage et la sensation du zénith. Comment se plaindre ?
    L’humeur se gâte pourtant aux abords des événements de civilisation et de ses actualités ataviques et fracassantes. Il n’y a même plus grand-chose à espérer en quittant le registre du : c’était mieux avant, au temps des adjuvants…



    Le poète excédé ne sait plus par quels mots prendre le malheur sous les aisselles pour l’extraire de la boue noire des douleurs, il lui faut trouver des causes et faire l’inventaire des circonstances, mais la lassitude et l’amertume viennent vite aux basques du propos.
    La colère s’immisce, elle est inévitable, quelque chose se dérègle dans la mélodie du bonheur et les forces se rassemblent dans un cri de rancœur ravalée, plutôt fier.
    Point de capitulation devant l’inéluctable déraison du Monde, le remède est un poison qui s’inverse dans l’alphabet des patrimoines, inlassable, il lui faut chercher, la formule par rafales de phrases, la distiller sous la houlette des autres poètes, trouver les résonances composites, tous les principes actifs visibles de la rebuffade inventive, créer du sens et de la beauté fraîche sous sa lampe-tempête.
    J’y vois comme une tenue stricte de journal de bord pour un navigateur, il lui faut faire le point de jour comme de nuit, laisser filer la proue sans trop l’entraver de doutes. Il sait que c’est difficile, mais ne l’ébruite pas, comme on épargne aux proches un pressentiment, afin d’ajourner leur assombrissement, et puis prendre sur soi les premières ombres des vagues sombres. Rester celui que rien n’étonne, mais qui prend de plein fouet les violences comme des impatiences illégitimes entre ses bras ouverts, prêt à les enfourner dans le gouffre de l’impuissance, il voudrait peut-être nous en débarrasser.
    Mais bien sûr, ça foire, la lectrice que je suis n’a pas pris la mer au même endroit. Il lui a fallu plusieurs semaines pour appareiller dans ce livre de vie impatient, intrépide. Certes, elle y a admiré sa prestance de galion raffiné aux volumes de bibliothèque généreuse et éclectique, mais en restant plutôt du côté des cuisines, des remises à victuailles et des cales. Elle a guetté moqueuse, les bruits de cœur tapageurs à travers la paroi des cabines d’acajou. Elle a attendu la fin de la fête à flots et à mots pavoisés pour sourire d’indulgence, de connivence approximative et de gratitude. Elle n’a pas quitté le rafiot, est descendue à quai très dignement, le pied rassuré sur la terre ferme. Elle n’a pas eu le mal de mer, c’est déjà çà. Elle a fixé l’horizon sans ciller, jusqu’au bout.
    La poésie n’apprend pas à naviguer mais elle sert à flotter sur le radeau des dérives, elle n’a pas d’obligation de résultat. Elle bouchonne au-dessus des silences précieux, elle scintille au soleil et disparait au moindre revers de chance. Elle n’est pas fiable, elle est sans pourquoi comme la rose. Aussi malléable qu’une étoile de mer au fond de l’eau.
    Pour la remonter à la surface et au jour, il y faut des précautions. Ce livre a tenu ce pari, c’est pourquoi il a accosté dans les librairies. Je l’ai corné à bien des pages où des perles de langage ont été déposées. Je ne vais pas vous aider, vous irez vous-mêmes les chercher. On ne refait jamais le même voyage et c’est une bonne nouvelle

    Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022

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