Jeanne Orient a lu et présente Des jours de pleine terre de Pierre Perrin
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  • Jeanne Orient, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Présentation texte et vidéo de 6 mn 10, 19 janvier 2023

    J’ai toujours cru que le livre fondateur de Pierre Perrin était le livre sur sa mère. Quelles que soient les versions. J’ai toujours cru que le livre fondateur de Pierre Perrin était cette douleur de mère. Pour sa mère, pour lui-même. Bien sûr il l’est. On ne peut prétendre connaître Pierre, chercher Pierre sans lire les livres sur sa mère : Le cri retenu chez le cherche midi éditeur et Le soleil des autres chez Sinope Editions. Mais le livre fondateur de Pierre Perrin, sa scène capitale, c’est ce recueil de poèmes Des jours de pleine terre, aux éditions Al Manar. La scène capitale et ses répliques sismiques, de 1969 à 2022. C’est dans ce recueil que Pierre Perrin passe au crible toute sa vie. Il se réfère d’ailleurs à Jean de la Fontaine pour dire : « La douleur est toujours moins forte que la plainte » et il convoque Jacque Réda avec : « On a beaucoup exagéré le malheur d’être ici ».
    Pierre Perrin repart tout doucement de l’enfance, son enfance, celle aussi qu’il aime tenter de voir au-dessus du muret l’enfance qui aurait pu être heureuse. « M’abstraire, me ravir… Chaque matin je me le promets ». Et il revient nous confier ce soir d’horreur, sa mère et le chien qu’elle a fait abattre : « Les bons points scintillent à l’école en vain / Elle a fait abattre le chien qui n’a pas six mois / Pour mes dix ans. Il mange trop […] La fenêtre de la cuisine, je le revois attaché au poteau / Un coup de hache lui fracasse le crâne. / Ce meurtre je l’ai enfoui et je l’ai tu 30 ans »…



    Il s’ensuit comme un journal, une poésie tissée de colère et d’espérance, de colère encore et d’espérance encore : « On chantonne par-dessus le froid, la neige rend si belle nos régions […] Il reste, au creux de la paume, une odeur de blé en lait ».
    Et vient ce temps où on baisse la garde. La douleur de vivre revient comme un boomrang, alors Pierre Perrin écrit : « Le miroir de l’écriture déporte la douleur ». Et à nouveau un chant d’amour. Cette fois, il prend visage de femme. Cette fois ce n’est plus écrire, mais vivre, toucher, aimer. Charnel, cet amour. Fort. « Mes jours entre tes jambes, mes nuits entre tes bras […] Le désir au large va et vient / Le yeux grands ouverts, tu chantes l’éternel printemps. »

    À nouveau la colère ! À nouveau l’impression que tout n’est que parenthèses. Le temps, la vie nous talonnent. Un galop effréné. Pour se sauver ou tout simplement tenter d’accorder son pas, Pierre écrit : « Vivre est une ivresse qui coiffe toutes les autres. / Le mirage de l’éternité au bout des doigts […] Mais les galaxies n’attendent personne ».
    Et vient ce temps où Pierre Perrin nous laisse croire que la fatigue, une grosse fatigue, le prend, le met presque à terre et sa voix s’enroue de tout ce qui n’a pas été. « Les illusions trop tôt perdues cause autant de tristesse que les morts. » La voix s’enroue de l’inachevé qui semble être une part de son destin. « Rien dans l’approche des ruines ne devrait nous désoler / elles perdurent, nous versons. Nous croyons grandir, elles s’enracinent. » Pierre Perrin tente de ne pas se laisser enfouir vivant. Il continue vaille que vaille à faire face à tout, à lui-même surtout : « Heureux ceux qui retournent l’espace de leur vie sans, sans cesser d’avancer ».
    Et c’est le temps de clore cette grande randonnée sauvage. La peur a disparu, la colère semble apaisée. Mais l’espoir, l’espoir est toujours là. Pierre Perrin ne clôture rien du tout. Tant qu’il lui restera un souffle, il reprendra sa plume pour dire encore.
    Nous nous sommes tous un peu ensauvagés ces dernières années. Même les plus doux, les plus joyeux d’entre nous. Peut-être à trop côtoyer les malheurs grand format. Pierre, sa scène capitale a eu lieu. Ses scènes capitales ont eu lieu. Il nous laisse refermer son recueil sur ces mots : « L’histoire d’une vie se ramène à la quête du bonheur. / Sur ce chemin dépourvus de bornes, chacun se cherche. / À chacun d’inventer son balancier, son pas de deux ». Et je me dis que, moi qui ai lu presque tous les livres de Pierre Perrin, qui le connais (connaît-on vraiment l’autre ?) dans le travail, dans la joie, dans certains de ses chagrins de passage, je me dis que Pierre Perrin reste inconsolable de Pierre Perrin.
    Des jours de pleine terre ! De vulnérabilité, et de grandes forces aussi. Ce recueil dédié à Christine son épouse, porte en exergue les mots de Georges Perros : « Vivre est émouvant, et la poésie n’est pas autre chose que le relevé sec, tranchant, impitoyable de cette émotion sans équivalant immédiat ». La gorge un peu serrée soudain, nous le croyons ! Et nous comprenons mieux le magnifique « dessin toile » de la couverture, signé Sophie Brassart

    Jeanne Orient, 19 janvier 2023 [retrouver la vidéo]

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