Pierre Perrin, poète filial et réfractaire
à propos Des jours de pleine terre, Al Manar, 2022

« Dès que quelqu’un est mort,
une rapide synthèse de sa vie à peine conclue se réalise. Des milliards
d’actes, d’expressions, sons, voix, paroles, tombent dans le néant, quelques
dizaines ou centaines survivent et quelques-unes de ces phrases résistent, comme
par miracle, s’inscrivent dans la mémoire comme des épigraphes, restent
suspendues dans la lumière d’un matin, dans les douces ténèbres d’une soirée
». À quoi se réduit c’est vrai la mémoire que nous conservons des autres. Poètes,
combien d’entre nous laisseront derrière eux, en heureux talisman, comme
l’écrit Pasolini, ces « quelques phrases qui résistent », cette
poignée de paroles vivaces échappées du néant où nous serons plongés ?
C’est donc essentiellement pour
soi, pour le présent, qu’il faut se résoudre à écrire. N’en déplaisent aux
Ronsard, aux Hugo, même aux Apollinaire de contrebande qui fréquentent
aujourd’hui les bas ou les hauts lieux de la poésie en y transportant les
illusions, les chimères de l’ancien monde. Pathétique, de plus en plus, de voir
tous ces livres paraître en rêvant de partages. Pire parfois, d’une postérité.
Bon. J’arrête là ce couplet
pessimiste. J’évoquais dans mon précédent post et à propos de la publication de
Construire de la poète Clara Regy, une poésie « de mode privé ».
C’est, il me semble sur ce même mode que se développe mais de façon plus large,
insistante et aussi réflexive, l’ouvrage que Pierre Perrin m’a bien
cordialement adressé. Sous leur titre assez transparent, Des jours de pleine
terre, sous-titré Poésie 1969-2022, se proposent et sans trop
d’illusions, sinon de retracer l’histoire d’une vie, du moins, ce livre n’étant
pas un roman, d’en marquer, signifier les points forts à travers des
thématiques claires : l’enfance, les amours, l’écriture, le monde comme il
va, l’apprentissage de la mort, sans oublier bien sûr la sagesse acquise ou
pas, sur le tard, d’exister…
- Des jours de pleine terre, Al Manar, octobre 2022, le recueil, les lectures, etc.
La présentation du volume chez l’éditeur
- Une page récapitulative des principaux retours, articles, dossiers et signatures
- Une note de lecture par Gwen Garnier-Duguy, in Littérature(s), Juillet 2024
- Un article par Paloma Hidalgo dans Esprit, mai 2024
- Une note de lecture par Pierrick de Chermont [3 septembre 2023
- La lecture du dossier Pierre Perrin dans Poésie/première n° 86 par Jeanne Orient
- Une lecture des deux premières sections du recueil par Yveline Vallée [août 2023]
- Réalisé par Isabelle Lévesque, un entretien pour Terre à ciel, juillet 2023
- Sept retours de Jean-Pierre Georges, Emmanuel Godo, Fabienne Schmitt, Jacqueline Saint-Jean, Raymond Perrin, Colette Fournier et Alain Duault
- Un dossier [article et entretien], dans la revue Livr’arbitres n° 41, mars 2023
- Un article d’Olivier Stroh, sur sa page Lettres, 26 mars 2023
- Les hautes terres de Pierre Perrin, par André Ughetto [12 mars 2023]
- Un article par Alain Roussel sur le site En attendant Nadeau, 8 mars 2023
- Une étude d’Emmanuelle Caminade, pour L’Or des livres, le 26 févier 2023
- Article de Ridha Bourkhis dans La Presse de Tunisie, le 23 février 2023
- Poème Hommage à René Char lu par Pierre Perrin [vidéo 1,31 mn]
- Courriel de Philippe Colmant, 7 février 2023 et courrier de J. M. Sourdillon
- Article de Daniel Guénette sur son blog québecois le 31 janvier 2023
- Courriel de René de Ceccatty, lettre de Michel Leuba et article d’Alain Nouvel sur RAP
- Jeanne Orient, texte et présentation vidéo de 6 mn 10, 19 janvier 2023
- ‘L’atelier’ lu par Marilyne Bertoncini [vidéo de 1 mn 50]
- ‘Force de l’ignorance’ lu par Catherine Humbert [vidéo de 2 mn 23]
- Jacques Morin, article pour revue Décharge, 27 décembre 2022
- Marie-Thérèse Peyrin, Le Livre des visages, 5 décembre 2022
- Retours de Virginie Megglé, d’Émile Eymard, Danièle Corre, Milouine, Marie Desvignes et Jean-Claude Martin, nov-déc. 2022
- Un choix de six poèmes par Georges Guillain, le 13 nov. 2022
- Une lecture de Georges Guillain, le 10 novembre 2022
- Une lecture de Didier Pobel, le 5 novembre 2022
- Une lecture de Gérard Mottet, le 31 octobre 2022
- Une lecture de Philippe Leuckx, le 30 octobre 2022
- Pierre Perrin, Envoi pour Des jours de pleine terre
- P. P. Éloge de la poésie [et comment je suis venu à elle]
Réfractaire qu’il est aux
impostures comme il les appelle des écritures plates et selon lui convenues qui
se pratiquent aujourd’hui couramment, Pierre Perrin livre avec cet ouvrage une
suite de textes qui paraîtra au lecteur averti moins contemporaine que très
filialement, quoique librement, rattachée à cette longue histoire de la poésie
qui liant l’intelligence au sentiment, comme le sens des valeurs à la finesse
de la sensibilité, ne répugne pas au discours, à la formule et sait ne pas séparer
le poète, au besoin, du moraliste, n’hésitant pas à condamner ce qu’il pense
être les errements comme les petitesses de ses tristes semblables.
Intempestive alors pourra sembler
cette poésie qui affecte de conserver ses majuscules en début de vers, d’opposer
aux facilités des vers courts, elliptiques, sa théorie de vers pleins qui
confinant parfois au verset, restent strictement ponctués, rassemblés le plus
souvent de façon décidée en strophes, pour renvoyer à travers leur matériel
d’images presque essentiellement empruntées au monde paysan, à une enfance
auquel l’auteur semble n’avoir jamais pu, su, ou voulu, tourner vraiment le dos.
C’est que ce monde de l’enfance
dont l’évocation directe dans la première partie constitue à mes yeux la
réussite majeure du recueil aura eu tout pour marquer fortement et
définitivement l’auteur. Je ne m’attarderai pas [1]
sur ces évocations sensibles, hautes comme on dit en couleurs de « la
ferme séculaire » où la vie se partage, cruellement parfois,
intimement toujours, avec les animaux, où « la honte/Ruisselle »
« pour peu qu’un inconnu frappe à la porte » … Je n’insisterai pas
davantage sur cette figure de Mère, prégnante dans le livre, à laquelle
l’auteur aura consacré il y a une vingtaine d’années un récit au Cherche Midi
éditeur et vers qui se tournera la dernière ou presque dernière bonne pensée du
livre. Je serai discret sur ces tentations de suicide, cette rémanence du motif
de la corde, de l’image du pendu qui ne manquera pas de frapper le lecteur dans
cette forte section. Se trouve à coup sûr là sinon les clés d’un caractère, du
moins les fondements sensibles et inquiets d’une personnalité marquée jusqu’au
bout par une forte impression de solitude. Un sentiment chiffonné aussi de
frustration qui le conduit à vilipender parfois un peu hâtivement ses
semblables, son époque.
À ceux qui le liront, Pierre
Perrin fera l’effet sans doute d’un homme rêche certes mais habité. Qu’anime à
n’en pas douter un intense désir d’ouverture. Qui s’il le pousse à célébrer
tout particulièrement l’averse sensuelle et charnelle de l’amour, des amours,
ne lui en fait éprouver que davantage l’amertume de ces pertes, de ces manques,
de toutes ces grandes ou petites défaites par quoi l’existence impitoyablement
nous rappelle le caractère borné, ridicule encore, de notre condition. Le poème
alors est là tant pour en rendre compte et fournir témoignage que s’affirmer
revanche. Apaisante satisfaction peut-être, même si « aucune
consolation n’existe », d’avoir ainsi su trouver la force, comme
l’écrivait Baudelaire, de s’être prouvé à soi-même qu’on n’était pas inférieur
à ceux que l’on méprise [2].
Georges Guillain sur son blog Les Découvreurs, jeudi 10 novembre 2022
[1] Je compte très prochainement, dans l’Anthologie Découvreurs, en publier quelques pages qui en diront plus long que tout discours.
[2] C’est dans le poème en prose célèbre, intitulé À une heure du matin, dont je ne peux m’empêcher de constater, mise à part heureusement la belle et empathique attention qu’il porte au monde dit aujourd’hui du vivant, l’assez claire parenté qui s’y manifeste entre la personnalité quelque peu misanthrope de Baudelaire et celle de l’auteur qui m’occupe aujourd’hui.
« J’ai bien vu aussi Courbet, Pérol, Réda… avec en déprimante opposition ce Livre des visages dont vous parlez deux fois à quelques dizaines de pages de distance. J’ai aussi vu Tian’ an men et l’Ukraine et ce poème du 11 novembre 1998 qui a résonné tout particulièrement en moi, qui ai posé il y a quelques années, sur cette douleur, cette atrocité Un bouquet pour les morts. Sur la mort je crois d’ailleurs qu’elle est un peu partout dans votre livre. Comme l’envers même de tout élan, de toute joie, de toute fragile ou durable clarté. Et c’est à elle que j’ai consacré les premières lignes de mes réflexions. J’aurais dû vous consacrer ce qu’on appelle une étude. Mais mon tempérament s’y prête peu. Je n’écris pas pour rendre compte objectivement, exhaustivement, d’un livre mais pour fixer un peu mes idées à son propos. Quelque chose de plus égoïste donc mais qui, n’étant pas de pur travail, a quelque chose pour moi de libre. Et de créatif. Effectué toujours quand même j’espère dans le respect, l’attention, une forme d’empathie pour l’écriture de l’autre. Les notes de lecture m’ont toujours semblé bien frustrantes. Et je ne vois pas comment d’ailleurs il pourrait en être autrement. Tant l’investissement de celui qui la réalise est hors de proportion, négativement bien entendu, avec celui de l’auteur qui, revenons à Baudelaire, y aura mis tout son cœur, sa tendresse, etc, etc… Mais rien de pire que le silence. Et j’en sais quelque chose. Fraternellement. » — Georges Guillain, commentaire sur Le Livre des visages, 10 novembre 2022