Lecture de Pierrick de Chermont pour Des jours de pleine terre de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Une anthologie 1969-2022

    couverture

    Une des premières surprises, à la lecture de cette anthologie – les poèmes ayant été écrits entre 1969 et 2022 – c’est l’incroyable stabilité de la forme ; une forme, assez peu courante aujourd’hui : des vers longs (des alexandrins le plus souvent) non rimés, souvent répartis en quatrains ou en tercets.
    Cette stabilité de forme invite à une lecture en continu, puisque l’esprit s’habitue au pas régulier de cette voix, familière des longues marches, de celle qui progresse sans perdre le cap de leurs propos, qui ne se dérobent pas devant les épreuves et les brisures de ton qui s’ensuivent, et qui, enfin, frappent par une sincérité sans apprêt, parfois un peu bougonne, ou un peu goguenarde, ou un peu discoureuse, mais toujours et avant tout riche et généreuse en camaraderie. Et cela force le respect.
    Car enfin, ce dont il est question à travers cette anthologie, c’est bien la vie d’un homme, poète, qui « vit pour son écriture », qui lui confie ses douleurs, ses peines, sa foi en la fraternité, ses solitudes, ses coups de menton bravaches, le soleil de ses naïvetés, la force sereine de son humilité, et son « sans illusion » stoïcien d’avancée vers la mort ; en un mot, en se mettant tout entier dans ses poèmes, c’est de nous que Pierre Perrin tire le portrait, ou plutôt nous propose des esquisses, des « crobards » – le poète étant à mille lieux de l’orgueil académique qui se complaît à imposer une lecture définitive et pontifiante de la vie.


    L’anthologie est thématique : la première partie porte sur l’enfance. Extrêmement forte, bouleversante oserai-je dire, elle est un voyage dans le monde de la paysannerie de la fin des années cinquante. La deuxième partie voudrait pudiquement évoquer le doute ; mais derrière cet euphémisme, l’enjeu des poèmes est de partager les blessures provoquées par la fragilité de l’existence : « La pauvre vie, la vie toute nue, notre unique trésor / À la tombe promis, qui tremble de sombrer chaque matin » ; et face à ces blessures existentielles, l’unique force des humbles et des sages est de leur opposer l’espérance : « Si plus jamais rien ni personne n’affûtait / L’espérance, nul éclat, pas un souffle, / du Goudron à l’âme pour le reste des jours ». La troisième partie, s’inscrit dans une tradition bien établie en France : les poèmes sur l’amour charnel, sur l’acte amoureux (on dirait plus tristement sexuel aujourd’hui je crois). Notre poète y fait preuve d’une belle maîtrise, qui le ferait bien considérer par ses illustres prédécesseurs. Il joue des gammes qui vont du registre galant du XVIIIe (« Elle prodigue des caresses d’une innocence si savantes), à celui plus parlé des « titis » parisien des années 50 (« Tu vois combien j’ai couru mon chéri ! »). La quatrième partie porte le titre bien choisi de « Notre monde sans tain ». Il s’agit de pointer (et de tirer) quelques obus contre les hydres de notre monde, peuplé de figures locales comme un Jean le Matois ou un Caligula comtois, ou des monstres mieux établis dans le monde (« Tian’an Men », « Ukraine en sang), ou encore les bandits de grands chemin, comme le propriétaire de la mécanique algorithmique du Livre des visages, aisé à reconnaître pour qui parle deux mots d’anglais. Enfin, la dernière partie s’avance à la « Lisière de la paix », cette bordure dont la mort nous entoure. Une quinzaine de poèmes dont ce dernier chant, Salut, d’une grande douceur : « Morte depuis quarante ans, ma mère, j’arrive à l’âge où tu entrais sous terre »

    Ce qui unit cette anthologie, outre la forme et sa parfaite maîtrise, c’est avant tout le ton, vigoureux et martelé comme des chaussures à clou, si on veut bien considérer ces deux adjectifs dans leurs acceptions de solide, ferme, volontaire, ancré, assumé. Nous avons affaire à une sincérité d’homme à homme qui ne s’emberlificote pas de faux-semblants. Étonnantes, je trouve, ces apparitions de poètes-paysans sur les terres de l’aujourd’hui (on pourrait ajouter à celle de Pierre Perrin, Jean Maison, dans un autre registre) : ils abaissent brutalement le centre de gravité de la poésie, soufflent d’un coup les lampions de la sophistique et de l’ennui. Ils reprennent, je crois, la marche initiée par Chambelland et Jean Breton, en faveur d’une poésie à hauteur d’hommes, usant d’une forme qui se tient ferme sur ces deux pieds. En outre, la poésie de Pierre Perrin relance les coups de gueule et les coups de poings, comme hier ceux de Jean Pérol, et aujourd’hui ceux d’un Christophe Dauphin. On trouve enfin chez notre poète, disséminé dans ses poèmes, une étonnante douceur, telle une herbe fauchée qui sèche au soleil, fanée, une douceur qui s’habille de la bienveillance des instituteurs de l’école de Rochefort. Parfois, je pensais au poète René-Guy Cadou en le lisant. En un mot, redites avec moi : Pierre Perrin, ou l’esprit de la camaraderie.

    Pierrick de Chermont, note de lecture du 03/09/2023
    parue dans la revue Phœnix n° 41, Janvier 2025 (pp. 275 à 277)

    Article de Paloma Hermina Hidalgo, Esprit, mai 2024>

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