Jean Orizet, J. Suquet, Louis Dubost et Patrice Delbourg
sur Manque à vivre, 1985, volume anthologique pour moitié inédit, 256 pages
Fils spirituel d’un Jean Breton et d’un Yves Martin, proche par la sensibilité de poètes et d’écrivains comme Georges Perros, Lucien Becker et plus près de nous Daniel Biga, Pierre Perrin se range – ou plutôt se dérange – dans la file des poètes du « dur métier de vivre », selon l’expression employée par Yves Martin, son postfacier.
Le titre même de l’ouvrage qu’il nous propose aujourd’hui, Manque à vivre, en dit plus qu’un long discours. Perrin est un révolté-lucide, un violent-tendre, un quêteur de vérités absolues, donc toujours en état de manque. À moins de quarante ans, il peut encore être considéré comme un jeune poète. En réalité, voici près de vingt ans qu’il écrit, tantôt en vers, tantôt en prose et sous forme de poèmes en prose où il excelle. Cet extrait des Pendus avant l’aube, qui date de 1972, montre combien Perin, à vingt-deux ans, maîtrisait déjà son style après avoir trouvé un « ton » :
Où sont passées douceurs et
amitiés d’hier ? La solitude pèse trop à
ces paupières, comme papillons de mai, de cette gorge sèche
à ce front serré.
La vie ensemble, néanmoins, nous
l’avions rêvée d’un côté de lumière
ainsi qu’un parc avec une maison grandeur étoile, où
chacun se fût montré au milieu de vraies flammes.
Oui, Pierre Perrin est un rêveur inquiet, mais son inquiétude est active. En plus de son métier d’enseignant, n’a-t-il pas créé une revue et une petite maison d’édition afin de prendre la poésie – non seulement la sienne mais aussi celle des autres – à bras le cops ? Des périodes de doute l’ont fait se taire pendant plusieurs années, mais l’écriture a fini par triompher du silence et du désespoir. La mort de ses proches aussi l’a profondément marqué. Dans Chroniques d’absences, recueil de 1979 repris dans Manque à vivre, il a écrit, pour sa mère, des poèmes d’une intense émotion :
À deux, nous courrons plus vite.
Je piétine à survivre, maman.
Je trébuche à ton seuil comme au matin de ma naissance.
Jean Orizet, Le Figaro Magazine, 1er mars 1986
repris dans Les Aventures du regard, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1999
lu par J. Suquet
Pierre Perrin sans hausser le ton, sans forcer sa voix, dit ce qui lui tient à cœur. Dents serrées et mort sûre. Les sentiments sont la matière première de ses poèmes. Ses sueurs, sa saleté, ses peurs, sa faim, sa joie, le souvenir lancinant de celles qu’il n’aima que trop mal, sécrètent le beau noir dont il extrait son encre. Il n’a rien pourtant d’un bouilleur de cru à la six-quatre-deux, d’un forgeron d’infortune. Dans les humeurs brutes de la bête opère le même arsenal nerveux et hormonal dont les mots font également leur cavale. L’opération poétique véritable consiste peut-être à trouver le plus court chemin, la plus droite chimie entre les deux. J. Suquet, Les Livres, Bulletin officiel de l’Éducation nationale, juin 1986, n° 311.
lu par Louis Dubost
Nous avons affaire à un véritable écrivain, par défaut empêtré dans une existence bien ordinaire et par excès « embouqué » dans une écriture exigeante. Nous lisons là des poèmes de la déchirure, de l’arrachement, de la démantibulation. « P. Perrin est de la race des dépecés », écrit Yves Martin dans une efficace et sobre postface. « Pas une veine, un nerf, pas un afflux n’échappe à l’œil, au canif, à la saisine. » Le lecteur ne sort pas de ce livre sans y avoir laissé quelques lambeaux de ses masques intimes ; les poèmes-miroirs ne font pas dans le faux-semblant ; chaque reflet est un fragment à vif, vrai et, le puzzle s’assemblant page à page, la vérité ne prend pas de gant : elle boxe dur, nous « sonne » sec. Louis Dubost, Décharge, n° 33, mai 1986.
Lu par Patrice Delbourg
Avec une postface d’Yves Martin, Pierre Perrin rassemble ses quatre premiers ouvrages, choix de poèmes doublé d’inédits. Ses pairs : Becker, Réda, Jean Breton, Guy Chambelland, Bellay, Biga. Ses obsessions : l’angoisse derrière le judas, le drame d’une chambre archétype de l’absence, une fin d’hiver très ordinaire où l’amour ferme ses auvents. Pierre Perrin nous vaporise le parfum des tendresses désamorcées, des fourrières de l’âme. C’est fort, taciturne et indispensable. — Patrice Delbourg, L’Événement du Jeudi, 13 au 19 février 1986