Retour de lecture Des jours de pleine terre de Pierre Perrin
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  • Un dossier Pierre Perrin
    dans la revue Poésie/première n° 86, septembre 2023

    La lecture du dossier par Jeanne Orient

    couverture

    « Va mon livre, ne meurs pas… »
    Le magnifique numéro de septembre de la revue Poésie/première [n° 86] se situe sous le signe du lyrisme. Chaque contributeur a donné « sa version » de ce mot que nous utilisons parfois pour dire « un peu trop ». Pourtant le lyrisme en poésie conduit à écrire le plus intime de soi. Ce qui perle sur la peau, ce qui se crie en silence. Martine Morillon-Carreau consigne à la fin de son édito : « Sans évidemment prétendre à une quelconque exhaustivité concernant la récurrente et brûlante question du lyrisme poétique, ce numéro offre les passionnants témoignages d’une poésie en train de se vivre, s’écrire, se penser : la modeste ambition peut-être, d’un atelier, voire d’un alchimique creuset, œuvrant à l’or du temps. »
    Le dossier consacré à Pierre Perrin, au lyrisme de Pierre Perrin rassemble les articles suivants : Sur le ring du poème, Jean Pérol ; Du vécu au vivre, Gérard Mottet ; Le cri retenu, Murielle Compère-Demarcy ; De hautes terres en poésie, André Ughetto ; Une torche à la main, Marie-José Christien ; L’homme poétique, Éric Brogniet ; tous ces articles ont été collectés par Claire Boitel.
    Nous retrouvons Pierre Perrin, les mots obsédants de Pierre Perrin : « Tenir, froid, terre, cri, hache, lumière, temps, déchirure. » Ce dossier constitue une sorte d’anthologie où chacune, chacun apporte son regard, son témoignage sur Pierre Perrin qui aura toujours écrit dans l’instant et dans l’intervalle. Il écrit, Pierre, dans ce creux qui se forme et qui est la déchirure du mot. Il est partout, porteur du Cri. Il est surtout dans ces *Jours de pleine terre*, son livre fondateur, le livre de sa vie… inachevé, recommencé, inachevable. Il y mêle sa rage, son enfance blessée, son espoir de lumière, son exigence de la langue, du mot juste, sa lassitude, son espoir encore, l’amour. Combien peut-être, le mot qui revient souvent dans ce dossier, est celui qui le caractérise le plus et il est de lui. Il est dans son poème : Tenir. « Le tout est de tenir, debout, dans la prison de lumière. »
    Lire Pierre Perrin, semblent dire tous les contributeurs de ce dossier, c’est être face à lui. En face de lui. Sur le « Ring du poème ». Il pourrait perdre, être K.O, mais ce n’est pas son souci. Lui veut juste se relever à chaque fois. Pour dire encore que l’entaille de l’enfance ne s’est jamais refermée.
    Pour dire sa rage, son identité à lui, l’identité de son poème : « Je n’écris pas pour vivre. Je vis pour écrire. » Et il se relève encore et encore jusqu’à plus de voix et il dit encore et encore : « Si le bonheur n’existe pas, Poème au poing, l’amour debout, nous ferons tout pour l’inventer. »
    Alors oui, si c’est tout cela, être lyrique, Pierre Perrin et son poème sont lyriques. Incontestablement ! Et nous remercions toutes celles et ceux qui ont constitué ce dossier dans Poésie/première. Il faut encore et toujours des preuves. Il faut encore et toujours des témoins. Des témoins des poètes et du poème.
    Je ne saurais oublier les autres articles, les nouvelles, les autres témoignages sur d’autres poètes, d’autres poèmes. Dans ce numéro de Poésie/première, ils ont tous tenté de tamiser les mots pour ne garder que la poussière d’or, celle qui sera toujours particule lumineuse dans la nuit. — Jeanne Orient, Le Livre des visages, 23 octobre 2023.

    Le téléchargement du dossier P. P. [Pdf des pages 26 à 48 de la revue]


    Quelques citations extraites du dossier

    Chroniquer son livre, un défi de Jeanne Orient
    [Ou ce que j’aurais aimé lire sous la plume d’un confrère]

    couverture

    Des jours de pleine terre, poésie 1969-2022, éditions Al Manar, 170 pages, octobre 2022

    Des jours de pleine terre est une rareté, de l’ordre des Fleurs du mal en son temps. Cent-dix poèmes occupent cent-soixante-dix pages. Perrin a moins publié que choisi. Il ne livre que des poèmes nécessaires. Les meilleurs se placent sous le règne de l’émotion, que fixe l’exergue emprunté à Perros. « Vivre est émouvant, et la poésie n’est pas autre chose que le relevé sec, tranchant, impitoyable, de cette émotion sans équivalent immédiat. » Les poèmes le confirment ; souvent proches du sonnet, les grands sont nombreux. Les vers puissants s’impriment dans la mémoire.
    Ce livre commence par la naissance et s’achève par-delà la mort. Tel est l’empan, dûment tenu. L’enfance puis les découvertes gazouillent. L’adolescence à la campagne, où les filles cherchées par les garçons et trouvées, souvent mal comprises, « Ouvrent les cuisses comme un oiseau le bec, pour mieux / Rejeter d’un râle, d’une raillerie, d’un silence définitif. » La mort du père est presque passée sous silence, alors que le site de Pierre Perrin donne à lire le premier poème écrit et publié à 19 ans, “Prose pour un temps de mort”. Aucun cliché, des trouvailles incessantes. Au-delà des “Petites” aux « têtes de chat sous l’étoffe », de la “Toussaint” ressuscitée par l’enfant de chœur, les doutes pleuvent comme il se doit. Parmi ceux-ci, la légitimité d’écrire est circonscrite, pourquoi, comment. Alors que tant de chérubins, la plume incertaine, se perdent en banalités, sans la moindre réflexion sur la nature du vers ni du poème, où l’à-la-ligne tient lieu de bougie, Perrin sait où il va, comme il sait d’où il vient dans ce qu’il nomme « une éclipse de la mort », la culture en plus. Ni la table rase, ni l’amateurisme ne le retiennent, au contraire. Le travail est son dieu. Il a raison de le révérer, qui nous fait admirer plus que la langue, ici maniée à la perfection.
    Perrin reste la campagne au cœur. Dans ses vers, la nature suffoque et respire à la fois. Au cœur du volume, la terre porte la femme aimée. Le recueil délivre une trentaine de poèmes d’amour sans pareils. Puis se succèdent des portraits de roués, de salauds, “Jean le Matois”, “Caligula comtois” et, à l’envers, les victimes de la guerre de Quatorze, “Debout les morts”. Le poète, qu’on pourrait croire réduit au geste du semeur, casanier, enjambe les continents. Il souffre pour les morts de la place Tiananmen [« chaque homme qu’on abat ensanglante l’espèce »], les guerres de notre temps. Il célèbre le “Gisant debout”, René Char, et “L’Arbre” – deux poèmes immémoriaux. Il stigmatise Le livre des visages, en ce qu’il bouleverse l’époque, réduit la lecture à la sauvette et donc l’autonomie de la pensée. La liberté de réfléchir entrerait-elle en agonie ? Enfin, le poète aborde sa propre fin, comment chacun devrait quitter la vie. C’est un recueil où le temps déborde, à son tour, comme l’écrivait Éluard.
    Qui ne perçoit la grandeur ? La cinquantaine d’épigraphes l’attesterait au reste. Le premier fixe le cap. « La clarté porte la profondeur à la surface. » À suivre Compagnon, les antimodernes n’ont pas dit mieux. Le cap est assurément tenu. Il y avait longtemps que la poésie n’avait pas habité un écrivain de cette envergure. — repris du Livre des visages, 25 octobre 2023

    Je veux écrire et dire du fond de ma campagne Charentaise, sans références littéraires ni qualité de chroniqueuse combien je suis perméable combien j’éprouve un sentiment de sororité en embrassant l’œuvre de Pierre. Pas une page de son recueil Des jours de pleine terre qui m’ait laissée insensible donc je plussoie et renouvelle mes mots d’admiration car il en faut du courage et de la force pour « dire » comme il le dit. Je me permets de le citer, page 46 de son recueil : « Nul ne témoigne pour la seule mémoire, mais pour le plaisir d’être au monde. On n’écrit que de soi; mais on écrit pour les autres. […] La plénitude est notre unique raison d’être. » Donc, l’exercice auquel s’est livré Pierre m’a séduite à plus d’un titre. J’aime l’auteur, le Passeur de textes et là... oui, je suis bluffée. — Janine Martin-Sacriste [un commentaire le jour même].


    Note de lecture par Pierrick de Chermont [3 septembre 20236

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