Note de Philippe Leuckx pour Des jours de pleine terre de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, Al Manar
    Une lecture de Philippe Leuckx, le 30 octobre 2022

    couverture

    Quelle âpreté dans ces poèmes qui de l’enfance à aujourd’hui consignent les blessures et les apprentissages d’un enfant, d’un poète, apte à saisir à pleins mots la violence des apprentissages. Les images tombent comme des constats cinglants, pas une trace de sentimentalisme ni d’once de complaisance. C’est « l’odeur d’urine », c’est le « saccage », l’enfant « brûle sans feu », « la nuit ravale l’orgueil de l’enfant que nul n’écoute ». La mère n’étreint jamais le petit.
    Construit en cinq sections – autant d’étapes d’une vie, le livre choisit une écriture qui puisse au mieux traduire les états d’âme, les sentiments, les effusions, toute émotion née dans le flux des jours, en campagne, dans l’usage de la terre et des bêtes, à l’aune des saisons, au rythme des plaisirs, des peines, des découvertes. L’amour y a une place de choix et les nombreux poèmes adressés à l’aimée disent assez cette période faste où la rencontre a renvoyé bien loin derrière les traumas. L’écriture, en effet, privilégie les poèmes longs, fortement charpentés, aux images lyriques et à la scansion sûre des classiques :



    Dans l’habitat toujours précaire de l’impossible, il refuse
    La défaite. Sans révélation à tenir, contre toute attente,
    Sa relecture lui ouvre les yeux et le transporte
    De l’insuffisance qui le mine vers le but à atteindre.
    (p.53)

    Elle a le goût d’ouvrir les bras pour susciter la plénitude.
    Si son sourire – arc au repos, de rose sur la neige – paraît
    Assassiné d’absence quelquefois, un baiser la fait vibrer.
    Au chevet, rien ne surpasse le silence ameuté de ses seins.
    (p.85)

    Le quatrain offre au poème une respiration ample, celle de la terre qui mûrit, celle des émotions qui submergent et prennent le temps d’être contées.
    Le poète, « nourri d’inquiètes certitudes », sait nommer les joies comme les ombres, les « embellies » comme « au secret la solitude ». Dans cette quête, où l’autobiographie corsetée se fait jour, la recherche de la vérité sur le « qu’est-ce que vivre ? » martèle nombre de passages, puisque les « ruines perdurent, nous versons ».
    Avec l’âge, les préoccupations littéraires et la sagesse qui va l’amble, le poète peut servir de longs éloges de la poésie, de sa terre natale, et, référence au fameux livre sur la « mère » tenter d’en finir avec la douleur : « La nuit, parfois, tu viens, désolée, ombre de ton ombre maigre et sèche. / Je souffre encore de n’avoir pas cueilli ton dernier souffle sur mes lèvres », « salut » ultime à la génitrice austère et sévère.
    On sort du livre, à la fois ému, retourné par la maîtrise des thèmes et du style – romain par l’exigence et le rythme qui sait si bien scander l’émotion retenue.

    Philippe Leuckx, écrivain et critique littéraire belge

    Accès à la note de Gérard Mottet —>

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