Échos à Une mère, le Cri retenu, Cherche Midi 2001 [suite]
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  • Échos à Une mère, le Cri retenu,
    Par Corine Aubineau, Le Livre des visages, 11 novembre 2025

    couv. Une mère, chez l’éditeur

    J’ai quitté il y a peu le ventre d’Une mère, le cri retenu de Pierre Perrin, les échos d’une enfance à la campagne vibrent encore, lecture chaude en petits sabots roses qu’il faut bouchonner sur la paille fraîche, la vie est à ce prix.
    Le sens s’infuse, se diffuse, en prose poétique, l’esprit happé et le cœur pris. L’écriture ose, souffle, entre humilité et remord, entre questions et souvenirs, le narrateur est un conteur. Dans une « humanité qui pullule », la mémoire rassemble l’intime et le commun.
    Elles sont crayonnées, soulignées, bleuies dans la marge, mes pages.
    Sur les lignes enfouies je déambule, m’attarde au bord de la rivière, jusqu’à me faufiler sur les mots-cailloux moussus, glissants. Ça ripe sous le pied les jours d’été, ça saisit les chevilles les jours d’hiver.
    Pleurer, je peux, entre les lignes, pour comprendre que la vie reste la vie. De l’amour à l’oubli, ne cesser d’y penser, souvenirs brûlants de neige taiseuse, sentiments tressés au futur, paysages et personnages peints d’émotion, la tête penchée, prise entre les mains. C’est bien mystérieux une mère, l’enfant le sait déjà. Peut-on cesser d’écrire sur les mères ? Nos adorées, nos haïes, nos aimées…


    Attendre dans le noir, les soirs de bibliothèque fermée ; il faudrait ne pas avoir peur et « remonter la lumière » ; la mère sera toujours là. On ne la connait pas. On se construit. Souvent le temps manque à savoir qui l’on est et de qui l’on vient « Il se peut que nous écrivions et que nous lisions certains livres pour devenir justement ce que nous sommes ».
    La délicatesse de l’écriture de Pierre Perrin, dédaignant la chronologie, – un grand merci pour cela –, nous dit la vie, à la campagne, une vie au xxe siècle ; le récit est émaillé de réflexions sur le temps qui passe, file comme sable entre les doigts. En toute pudeur, Pierre Perrin écrit le crabe qui a dévoré sa mère, sans plainte, en toute douleur ; elle, femme fidèle à son triptyque immuable : sa maison, son jardin, l’éducation de son fils.
    L’auteur ne lâche pas la main de l’enfant qu’il a été, cherche et trouve la juste écriture. Nous ?
    Nous écoutons, tremblons, sourions, les larmes tendres ou cruelles creusant le chemin où il nous a convié. Sur les flots de l’émotion et du sens décuplé, la peau frémit, le cœur bat, respiration par le ventre.
    Nous voguons sur les feuilles de papier savamment pliées et déployées, « petit bateau sur l’eau ». En dette du don, à l’inconnu de l’horizon, nos larmes sécheront.

    Corine Aubineau, Le Livre des visages, 11 novembre 2025

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