Pierre Perrin : Fin de la mère (Le Cri retenu)
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  • La Fin de ma mère

    Son visage était ravagé, l’œil droit perdu sans retour. Elle se recroquevillait de douleur sur sa chaise. D’une main elle tenait sa joue penchée qui n’était qu’une plaie ; de l’autre, elle ramenait les pans de sa robe sur ses membres décharnés. Bien qu’elle m’accueillît encore avec un sourire qui cachait de son mieux la souffrance, je ne pouvais pas poser la question. Elle touchait à sa fin. Elle avait parlé de son cercueil, sans que sa voix tremble. Elle allait rejoindre son aimé, parti le premier. Je ne distinguais aucun chemin. Je voyais une borne et la tombe ouverte, et la tombe ensevelir le cadavre, et la borne s’effacer avec les années. Je vacillais. J’étais si près de son souffle que j’escomptais parfois la part d’inconnu qui m’était réservé. Je tenais la main de ma mère, la peau sur les os. La pitié m’étreignait. Je concevais la délivrance, dont elle ne faisait plus guère état. Je ne pouvais réaliser son abandon, le renoncement à vivre. Elle avait embrassé à sa façon le monde et les êtres qui avaient croisé son destin. Elle avait parié sur le ciel, comme on lui avait appris à le faire. Elle ne jouait plus. Et peu lui importait qu’il restât quelque chose ou non de ce qu’elle avait gagné à la sueur de son front. Elle s’en allait, son être s’en allait. Ce n’était pas un drame. Les bilans dépassés, l’enfant élevé, le silence l’envahissait, comme s’il avait neigé sur son jardin. Un cri, un seul, lui échapperait, qu’elle entendrait à peine. Seule – il ne viendrait plus maintenant –, à l’ultime instant.

    Pierre Perrin, Une mère, Le Cri retenu, Cherche Midi, 2001 [153-154]


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