Pierre Perrin : Enfant, un souvenir de Gustave Courbet dans Une mère Le Cri retenu
  • les invitésLes invités

  • Enfant, un souvenir de Gustave Courbet

    Courbet

    Enfants, le dimanche, nous rôdions un peu partout, et parfois assez loin. Nous visitions, en toutes saisons, les grottes, tout à l’espoir de surprendre un renard, un blaireau, qui parfois détalait entre nos jambes, quand, au détour d’un sentier, se découvrit un jour, un peu plus bas dans la vallée, longtemps cachée de nous par un bosquet, une grande bâtisse abandonnée. Toutes les portes au large, un pan de toit crevé sur la grange ; du foin, de la paille moisis ; l’écurie, pas plus grande qu’une cuisine, révélait des râteliers presque à ras du sol. Plus tard, à questionner prudemment les vieux, nous sûmes que c’était, sur le village voisin, une bergerie pratiquement abandonnée. Pourtant, au fil de nos découvertes, nous avions trouvé, une échelle aussitôt dressée, au-dessus de l’écurie, sans une porte qui ouvrît dans la grange, une pièce dont les murs et ce qu’il restait de plâtre entre les lattes du plafond étaient couverts de peintures vives, d’animaux, de forêt, et de femmes nues près d’une source. Courbet s’était, paraît-il, réfugié là quelque temps, jadis. J’aimai soudain cette pièce étroite où, sur le mur du fond, de la neige étincelait entre des sapins noirs ; ailleurs des corps plus clairs que de la paille s’abandonnaient sur de la mousse. À la porte qui donnait dans le vide, sur la vallée, lui aussi avait accédé par une échelle qu’il devait tirer derrière lui et, quand il s’éloignait, il la rangeait peut-être dans le foin. Quel modèle, dans la débâcle, l’avait parfois rejoint ; quels amis avaient sifflé de loin entre les moutons ? Plusieurs fois je retournai seul contempler les fresques, les puissantes esquisses vieilles d’au moins quatre-vingts ans, beaucoup abîmées. Puis j’ai oublié ce trésor que nul n’a préservé. La maison est en ruines ; de la pièce il ne reste rien. La gloire n’a pas sauvé un hiver de Courbet. —  Une présentation du peintre comtois

    Pierre Perrin, Une mère, Le Cri retenu, Cherche Midi, 2001 [pages 49-50]


    Page précédente — Imprimer cette page — Page suivante