Marie-Josée Desvignes
Lecture d’Une mère, Le cri retenu, Cherche midi

Il est des livres qui réclament qu’on les rouvre à la première page, sitôt la dernière tournée.
Il est des livres dont on ne comprend pas que l’on ait pu passer à côté sans les voir.
Il est des livres qui longtemps nous suivent parce qu’ils parlent au-delà de l’âme, à ce qui, au plus profond de nous, n’attend que de se dire, dont l’écriture bouleverse tout autant que le propos.
Une mère, Le cri retenu fait sans aucun doute partie de ceux-là.
Qu’une mère ait été douce ou terrible, quand elle nous quitte, on voudrait avoir pu comprendre sa peine ; à rebours, être capable d’entendre ses chagrins qu’on n’avait pas imaginés.
« Quel compteur mesurera jamais la distance qui nous sépare de notre secret ? »
Celle du narrateur a refusé sa tendresse à l’enfant qu’il a été, le rudoyant plus souvent qu’à son tour, le malmenant, l’ignorant même. L’incompréhension et la douleur accompagneront son enfance creusant la colère au coeur de son développement.
C’est une mère, mais c’est toutes les mères qui sont ici convoquées, dans l’ignorance de la femme qu’elles sont souvent aux yeux de leurs enfants, de l’oubli de cette vie qu’elles arpentent elles aussi parfois pas toujours de manière heureuse. Cette mère-là est une mère de nos campagnes et d’un temps où l’éducation était rude dans ce milieu. C’est du moins ce que l’auteur de ses lignes tentera de justifier pour dédouaner l’attitude de sa mère, la couvrant de mots doux, recherchant encore vingt ans après sa mort l’amour qu’il n’a pas reçu.
- Quarante-quatre articles ou retours de lecture pour Une mère, le cri retenu et cinq brefs extraits du récit
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- *
- Nouveaux retours courant 2023Échos de Patricia NeverTal, Aline Angoustures, sur Le Livre des visages
- *
- Marie-Christine Guidon, in Florilège n° 189, décembre 2022Avec ce « cri retenu », Pierre Perrin nous fait pénétrer son intimité et ses déchirements aux accents de confession. Même si « la littérature… ne peut rien contre la mort » « l’amour est presque aussi fort que la mort ». La virtuosité du verbe, telle une corde tendue, confère une valeur holistique à cet ouvrage bouleversant qui vient bousculer les certitudes les plus « encrées ».
- *
- Carmen Penarum offre sa lecture du récit de Pierre Perrin le 29 octobreElle écrit entre autres que Le cri retenu était celui de la mère que son fils accueille enfin
- *
- Onze nouveaux articles et retours durant 2022 [ordre décroissant]Michelle Ronin, Anne Cécile Lécuiller, Dan Burcea, Anne-Marie Meneguzzo, Béatrice Courraud, Arielle Burgelin de Hugo, Flora Fleur, Jacques Roland, Henri-Pierre Rodriguez, Fabienne Schmitt.
- *
- Trente extraits des principaux articles et retours [ordre décroissant]Le dernier qui fut le premier : « Lisez ce livre. » – Bernard Pivot, Apostrophes, 23 février 2001.
- *
- Jean-Pierre Poccioni, lecture d’Une mère [oct. 2018]En conclusion, un texte qu’il faut lire pour donner un sens véritable à l’expression souvent galvaudée de littérature inclassable. Car si le talent de Pierre Perrin est indiscutable et enchante ou surprend en permanence par mille découvertes stylistiques, ce qui reste est cet engagement quasi vital, cette forte et belle aventure humaine de l’écriture.
- *
- Murielle Compère-Demarcy, lecture d’Une mère [sept. 2018]Ce livre n’est pas seulement un « récit » autobiographique, puisqu’il s’adresse « à nos mères », à savoir à cette figure incontournable et mystérieuse de nos singulières mythologies personnelles. « Pour l’enfant de la campagne qui se croit indésiré », lit-on en quatrième de couverture, « l’affection est rare et rude, à la mesure du mutisme, etc.
- *
- Alain Nouvel, À la recherche d’Une mère perdue ?Le temps fait son œuvre d’effacer puis de ramener au jour, comme peuvent le faire les saisons ou les marées. Ce cri retenu et pourtant poussé comme pousse un arbre, peut enfin se lire. Mais c’est une lecture brûlante et tourmentée, comme le fut son écriture. Ce n’est pas une lecture de tout repos, ni fluide, c’est les méandres de la mauvaise conscience, de l’orgueil, de toutes les passions humaines, comme des montagnes qui rendent les sinuosités indispensables pour que le courant progresse.
- *
- Joëlle Pétillot, Deuxième lecture d’Une mère, 2017Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté. “Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
- *
- Françoise Roubaudi, Lecture d’Une mère, 2017Dans le livre de Pierre Perrin, Une mère, je cherche la mère, selon le titre. Elle apparaît souvent, bouleversante et rugueuse : « La nuit la surprenait à l’ouvrage, les bottes lourdes, les gants maculés de terre » (page 32) Et aussi : « Elle joint à sa lettre un brin de mimosa […] Ce brin, je l’ai regardé, senti et effleuré de mes lèvres, il est rempli de mes pensées et de mon amour, en attendant de vous redire mille fois que je vous aime
- *
- Marie-Josée Christien, Les Cahiers du Sens n°27, juin 2017En lisant ce récit poignant de Pierre Perrin, comment ne pas adhérer à cette pensée de Baudelaire : « Le poète est un enfant qui se souvient » ? Le poète Pierre Perrin est un enfant qui « lève le voile de l’oubli, plus lourd qu’un linceul » et se souvient de ce qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Il se souvient de son enfance rude, aux relents amers, de la sourde violence qui longtemps a occulté ses souvenirs
- *
- Note de Françoise Ruban sur son blogue, 8 novembre 2016
- *
- Note de lecture de Marie-Josée Desvignes [le 17.5.2016]Il est des livres qui réclament qu’on les rouvre à la première page, sitôt la dernière tournée. Il est des livres dont on ne comprend pas que l’on ait pu passer à côté sans les voir. Il est des livres qui longtemps nous suivent parce qu’ils parlent au-delà de l’âme, à ce qui, au plus profond de nous, n’attend que de se dire, dont l’écriture bouleverse tout autant que le propos. Une mère, Le cri retenu fait sans aucun doute partie de ceux-là…
- *
- Article de Philippe Leuckx sur revue Texture, 2016Les aveux sont nets et coupants comme seule la grande littérature peut inciser : s’il faut des comparaisons, citons Blesse, ronce noire de Louis-Combet ou La peau sur les os d’Hyvernaud ou encore La première habitude de Françoise Lefèvre. Puisque la grande littérature s’offre sans apprêts, glaçante s’il le faut, hallucinante de vérité…
- *
- Article de Marilyne Bertoncini dans Recours au poèmeDe son style-scalpel, Pierre Perrin fouille ses souvenirs, sculptant, remplaçant – par l’itération de ses boucles et reprises – l’éternité jamais atteinte de l’éternel retour. Par l’écriture, il redonne chair à un fantôme – et c’est la chair des ses mots. Par touches, comme un peintre…
- *
- Article d’Angèle Paoli sur Terres de femmes, 2015Un très beau livre qui touche en profondeur, tant par la qualité d’une écriture très personnelle que par l’exploration sensible des sentiments qu’elle donne à vivre. Et à partager. Une fois le livre fermé…
- *
- Lectures de Franck Balandier et Ève de Laudec, février 2016Au fil des interrogations adressées tout autant à sa mère qu’à lui-même dans le labyrinthe des possibles, on accoste aux nœuds de chagrin, que l’auteur tente de démêler. Il questionne sa mère plus librement depuis qu’elle est morte, et ce parcours d’écriture le conduit doucement à certaines réponses avec lesquelles il devra s’accorder, s’encorder.
- *
- Bernard Pivot, Didier Pobel et Claude Michel Cluny, 2002Dans l’art d’esquisser des fresques que ne renierait pas Courbet. Dans cette manière rude et douce à la fois, pieuse et révoltée aussi, de creuser des phrases comme des sillons que le narrateur traçait, enfant, cramponné aux manettes du tracteur “Pony”. […] Se souvient-on que ses bouleversantes Chroniques d’absence étaient déjà vouées à celle qui l’engendra ? On mesurera par ce rappel toute la constance d’un écrivain qui, à jamais l’œil rivé par-delà l’épaule du néant, offre à sa génitrice – et, partant, à toutes les mères – un poignant témoignage, tout à la fois révolté et apaisé, de fidélité filiale. « La sérénité réside dans la tâche accomplie. »
- *
- Pierre Ceysson, Christophe Dauphin et quelques autresJ’ai relu le Cri retenu. J’en ai retrouvé l’émotion faite de déchirement, de violence, de souffrance contenue que l’écriture cadre. Les textes poétiques sont remarquables de cristallisation sensible : sans doute, ce qu’il y a de plus “retenu”, donc de plus de plus dense et de plus “appellant” dans la lecture. Le tissage du cri (de la première à la dernière page), le début qui se rédime dans le dernier paragraphe ; le “dépecé”, le tas de fumier, les rats, le concret sous les doigts (dahlias) et le regard (séminaire, champs), les formules terribles et les titres venus de la “terreur initiale” et la culpabilité de l’abandon : tout cela m’a ému et me paraît solidement ancré profond
- *
- Marie-Françoise in le café littéraire luxovien, 2002Le Cri retenu, c’est celui que l’auteur voudrait qu’enfin sa mère entende à travers ces pages où il se livre, où il la livre, sans fard. Déplorant de lui avoir manqué, essayant après bien des années de la comprendre, de s’approcher par bribes de son secret emporté dans la tombe. Ces pages, il les écrit comme une confession : « L’admiration qu’elle méritait ne montait pas vers elle » ; « je t’ai martyrisée sans y penser, sans réaliser que ton cancer m’était dû. » De nature peu portée au rire…
- *
Dans ce livre, ce qui s’entend le plus, c’est tout ce silence (un cri retenu), toute cette offense qui, au plus fort de l’intimité des vies traversées, vient assourdir le fracas des corps qui se frôlent, se heurtent, se caressent parfois à peine.
Dans une campagne muette d’où sourdent tout juste les bruits des machines agricoles, les cloches d’une église, les vrombissements des voitures, les êtres qui hantent le récit, sont habités par l’émotion et le mystère étouffant du silence.
Nous sommes faits de ceux qui nous ont fait, et que ce soit la force ou le manque d’amour qui nous a accompagnés pour grandir, une seule évidence quand la vie s’efface, presque obsédante pour celui dont le langage est nécessité : vouloir redonner vie ; par les mots, tenter d’abolir l’espace, le temps, les notions mêmes de vie et de mort :
« Je voudrais te recréer plus lentement que tu ne m’as fait ».
Se peut-il que l’on aime plus un mort, une morte ?
« Si ce n’est pas un délire de poète, quiconque a aimé, outre qu’il aime encore – c’est un creux qui n’attend que le poids qu’on lui donne -, n’a nul besoin d’ouvrir la bouche ; il sait comme je sais que parfois le souffle monte au ciel et dure, sans doute moins, mais dure la lumière d’une étoile. »
C’est pourtant vingt ans après la mort de sa mère que le narrateur tente de retisser cette mémoire dont il dit que chez lui, elle « semble un moulin, le meunier jamais là. »
D’une mère mutique et sans tendresse, attendre en vain une caresse -«du plus loin que je me souvienne, j’attendais d’être aimé. Nul élan, de ma mère, sinon pour me repousser»-, et vouloir pourtant lui reconquérir dans l’espace des pages d’un livre, légère, une liberté qu’elle n’a pas eue.
Recomposant son visage, ses traits, son corps menu, ses gestes précis et mesurés, ses manies : l’église, le cimetière, son sens du devoir le plus strict, tenir sa maison et son fils qui pourtant se rebellera, le narrateur cherche, nous semble-t-il, une raison à cette nécessité.
Est-ce la culpabilité née d’avoir manqué l’adieu ? Est-ce l’adolescence turbulente, responsable du cancer qui l’a emportée ? Peu importe les raisons, les questions.
« Je reviens à ce livre comme à la remise un paysan (il y a toujours à faire) quand je voudrais oublier ce travail justement. Quoique j’envisage, une poigne s’abat sur mes épaules, le devoir m’étrangle. »
L’écriture au long cours alors se déploie sur de très belles pages qui disent les chaînes qui entravent l’auteur de ces lignes, pour mener à bien son devoir, car c’est bien d’un devoir qu’il s’agit pour lui :
« Si elle ne guide pas mes doigt sur les touches, mes doigts lui rendent la seule existence à laquelle elle puisse prétendre, celle des mots qui la nomment, et je veux qu’elle vive à travers ceux-ci, puisque je n’ai pas d’autres moyens de lui rendre la vie qu’elle m’a donnée. »
Vouloir redonner vie à celle qui nous a mis au monde, juste retour des choses, et peut-être juste réparation, mais de quoi ? De quel pardon réciproque pourrait-on s’exempter ?
« C’est moins ma mère qui m’attire à elle, au fond de ma mémoire, que l’espoir de rejaillir un jour de ce puits que je creuse ; entre mes bras, il n’y aura pas ma mère, seulement le poème de ma mère, qui a son tour retombera en poussière. […] Il ne me sert à rien de rejoindre la file des Jérémie, et qu’ensuite la seule page qui pour moi soit blanche, c’est ma mère emportée dans la mort contre qui la peur est bréhaigne, quand bien même les mots, les pauvres mots n’éveilleraient que des ombres. »
La réponse au mystère serait peut-être là, d’une mère sèche et sans mots, être pourtant désireux de la sortir de l’ombre et se mettre au jour soi. Mais avant ça, « il faut une tanière pour écrire […] Elevé dans le silence, le silence m’élève peut-être où ma mère m’a porté. »
La parole parfois se perd dans tout ce silence. Quand on croit que tout est dit, rien n’est dit. "Ma mère avait peut-être raison de se taire […] « Les mots nous ont manqué, et ceux-ci ne peuvent pas entrer dans la terre pour t’y trouver qui ne sont que des orphelins dans la nuit froide et noire où ils ne te trouveront jamais. »
Il est des livres dont la seule lecture suffit, il faut se taire ensuite.
Marie-Josée Desvignes le 17/05/16, sur son site Autre Monde