Joëlle Pétillot relit Une mère de Pierre Perrin
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  • Joëlle Pétillot, Deuxième lecture
    [en 2017] d’Une mère, Le cri retenu, Cherche midi

    couv. Une mère, chez l’éditeur

    Les livres, comme les humains, peinent parfois à trouver leur chemin vers la terre plus ou moins promise du lecteur. Mais certains, au delà de ce qui reste après lecture, dessinent une empreinte profonde appelant, dans un futur à définir, un second passage.
    C’est de cette relecture que je veux parler ici : un détestable individu de mes amis, nommé Alain Nouvel (1) ayant déjà évoqué avec un brio que je déplore - il ne m’arrange pas - le beau livre de Pierre Perrin, il me fallait bien me démarquer.
    Que dire, donc, de mes deux voyages dans ces lignes, à plusieurs mois d’intervalle ?
    Que cela ressemble à un second rendez-vous, quand le premier fut doux à la vie.
    Pourtant ce livre n’est pas gai. Même, il est violent.
    D’une violence distante, écrite dans le style le plus rigoureux qui soit. Je parle de rigueur, pas de rigidité.
    Cette mère est une absence-présence aux personnes plurielles : tour à tour “tu”, “elle”, “je” dans les lettres écrites de sa main dont résonnent au cours du livre les rares transmissions. Son visage reste une énigme, son corps menu, plus net, courbé, solide, est toujours en mouvement dans ce récit d’un fils en repêchage au sens premier du terme: cherchant à reprendre, au bout de sa ligne de mots, une mère qui tout à la fois entend et n’entend plus, surgit de l’onde un moment pour y replonger tandis que son garçon, sur le bord, rassemble son énergie pour la retrouver. Tout en souhaitant, peut-être, que ce combat de la mémoire ne soit jamais clos.
    “Accéder à soi semble aussi simple que de réussir une photo. […] mais accéder à un autre, qui nous a fait, dont il ne demeure qu’une ombre dans notre mémoire, demande un mouvement d’approche qui ne va pas sans recul […] Je me heurte à ton secret, dans ma tête. […]”


    Et soudain, autour de cette mère à la gifle aisée, à l’indifférence lasse devant les bouquets de fleurs des champs rapportés par le petit garçon pour tenter quelque chose, tisser un fil dans ce qu’il pressent déjà comme un chemin ombreux, difficile, douloureux, le mot “Maman” se pose, sans incongruité, sans impudeur (difficile de faire plus pudique que ce livre où pourtant la langue éclate pour “dire” les non-dits), dans un détail trivial, une odeur, un geste. Comme si cette mère , “Une mère” comme le veut le titre, redevenait “maman” autour d’un état de nourricière, de dispensatrice de douceur, pour un instant.
    “Ainsi, maman qui des coings faisait ma confiture préférée, tu coules entre mes doigts...”
    Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté.
    “Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
    Bien sûr la lectrice que je fus de ce livre, et re-lectrice, ne pouvait pas ne pas convoquer en le rouvrant son propre statut de mère. Un livre qui fait réfléchir sur soi-même est de ceux qui comptent, à mon propre horizon, en tout cas.
    J’ai fait le choix d’en parler ici sur un mode plus épidermique qu’analytique, Alain Nouvel ayant honoré cette part sans qu’il soit besoin d’en rajouter. Il est très difficile de partager à hauteur du plaisir ressenti : les gens qui ont aimé un livre ou un film, sauf à être critiques professionnels, font bien souvent les pires prosélytes, et je ne m’exclus guère du cas de figure. Me reste un dernier conseil, et d’évidence : si vous souhaitez y voir plus clair, lisez -le, ce livre, qui pour parler d’une morte n’est ni funèbre ni lugubre, car s’y trouvent bien des passages sur le sol, la terre, les murs de pierres, les fleurs, les jardins, la vie, quoi, et ils sont les écrits d’un humeur au fin nez, d’un goûteur, d’un œil aigu à qui n’échappent ni l’envol, ni l’eau, ni les saisons.
    “Lisez ce livre”... Il y a mieux à dire pour terminer ceci. Relisez le.

    Joëlle Pétillot, Le Livre des visages, 23 août 2017

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