Joëlle Pétillot, Deuxième lecture
[en 2017] d’Une mère, Le cri retenu, Cherche midi

Les livres, comme les humains, peinent parfois à trouver leur chemin vers la terre plus ou moins promise du lecteur. Mais certains, au delà de ce qui reste après lecture, dessinent une empreinte profonde appelant, dans un futur à définir, un second passage.
C’est de cette relecture que je veux parler ici : un détestable individu de mes amis, nommé Alain Nouvel (1) ayant déjà évoqué avec un brio que je déplore - il ne m’arrange pas - le beau livre de Pierre Perrin, il me fallait bien me démarquer.
Que dire, donc, de mes deux voyages dans ces lignes, à plusieurs mois d’intervalle ?
Que cela ressemble à un second rendez-vous, quand le premier fut doux à la vie.
Pourtant ce livre n’est pas gai. Même, il est violent.
D’une violence distante, écrite dans le style le plus rigoureux qui soit. Je parle de rigueur, pas de rigidité.
Cette mère est une absence-présence aux personnes plurielles : tour à tour “tu”, “elle”, “je” dans les lettres écrites de sa main dont résonnent au cours du livre les rares transmissions. Son visage reste une énigme, son corps menu, plus net, courbé, solide, est toujours en mouvement dans ce récit d’un fils en repêchage au sens premier du terme: cherchant à reprendre, au bout de sa ligne de mots, une mère qui tout à la fois entend et n’entend plus, surgit de l’onde un moment pour y replonger tandis que son garçon, sur le bord, rassemble son énergie pour la retrouver. Tout en souhaitant, peut-être, que ce combat de la mémoire ne soit jamais clos.
“Accéder à soi semble aussi simple que de réussir une photo. […] mais accéder à un autre, qui nous a fait, dont il ne demeure qu’une ombre dans notre mémoire, demande un mouvement d’approche qui ne va pas sans recul […] Je me heurte à ton secret, dans ma tête. […]”
- Quarante-huit articles ou retours de lecture pour Une mère, le cri retenu et cinq brefs extraits du récit
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- Étude par Daniel Guénette sur son blogue, 26 juillet 2024Quel embarras pour les historiens au moment de choisir les plus beaux extraits d’Une mère, les plus représentatifs de la qualité de l’écriture de l’auteur ! Sa prose est remarquable ; par moments, on croirait lire quelques-unes des plus belles pages du répertoire français.
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- Nouveaux retours courant 2023-2024 dont un article de Pascal Adamet échos d’Annie Christy, Michel Lamart, Patricia NeverTal, Aline Angoustures, sur Le Livre des visages
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- Marie-Christine Guidon, in Florilège n° 189, décembre 2022Avec ce « cri retenu », Pierre Perrin nous fait pénétrer son intimité et ses déchirements aux accents de confession. Même si « la littérature… ne peut rien contre la mort » « l’amour est presque aussi fort que la mort ». La virtuosité du verbe, telle une corde tendue, confère une valeur holistique à cet ouvrage bouleversant qui vient bousculer les certitudes les plus « encrées ».
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- Carmen Penarum offre sa lecture du récit de Pierre Perrin le 29 octobreElle écrit entre autres que Le cri retenu était celui de la mère que son fils accueille enfin
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- Onze nouveaux articles et retours durant 2022 [ordre décroissant]Michelle Ronin, Anne Cécile Lécuiller, Dan Burcea, Anne-Marie Meneguzzo, Béatrice Courraud, Arielle Burgelin de Hugo, Flora Fleur, Jacques Roland, Henri-Pierre Rodriguez, Fabienne Schmitt.
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- Trente extraits des principaux articles et retours [ordre décroissant]Le dernier qui fut le premier : « Lisez ce livre. » – Bernard Pivot, Apostrophes, 23 février 2001.
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- Jean-Pierre Poccioni, lecture d’Une mère [oct. 2018]En conclusion, un texte qu’il faut lire pour donner un sens véritable à l’expression souvent galvaudée de littérature inclassable. Car si le talent de Pierre Perrin est indiscutable et enchante ou surprend en permanence par mille découvertes stylistiques, ce qui reste est cet engagement quasi vital, cette forte et belle aventure humaine de l’écriture.
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- Murielle Compère-Demarcy, lecture d’Une mère [sept. 2018]Ce livre n’est pas seulement un « récit » autobiographique, puisqu’il s’adresse « à nos mères », à savoir à cette figure incontournable et mystérieuse de nos singulières mythologies personnelles. « Pour l’enfant de la campagne qui se croit indésiré », lit-on en quatrième de couverture, « l’affection est rare et rude, à la mesure du mutisme, etc.
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- Alain Nouvel, À la recherche d’Une mère perdue ?Le temps fait son œuvre d’effacer puis de ramener au jour, comme peuvent le faire les saisons ou les marées. Ce cri retenu et pourtant poussé comme pousse un arbre, peut enfin se lire. Mais c’est une lecture brûlante et tourmentée, comme le fut son écriture. Ce n’est pas une lecture de tout repos, ni fluide, c’est les méandres de la mauvaise conscience, de l’orgueil, de toutes les passions humaines, comme des montagnes qui rendent les sinuosités indispensables pour que le courant progresse.
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- Joëlle Pétillot, Deuxième lecture d’Une mère, 2017Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté. “Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
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- Françoise Roubaudi, Lecture d’Une mère, 2017Dans le livre de Pierre Perrin, Une mère, je cherche la mère, selon le titre. Elle apparaît souvent, bouleversante et rugueuse : « La nuit la surprenait à l’ouvrage, les bottes lourdes, les gants maculés de terre » (page 32) Et aussi : « Elle joint à sa lettre un brin de mimosa […] Ce brin, je l’ai regardé, senti et effleuré de mes lèvres, il est rempli de mes pensées et de mon amour, en attendant de vous redire mille fois que je vous aime
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- Marie-Josée Christien, Les Cahiers du Sens n°27, juin 2017En lisant ce récit poignant de Pierre Perrin, comment ne pas adhérer à cette pensée de Baudelaire : « Le poète est un enfant qui se souvient » ? Le poète Pierre Perrin est un enfant qui « lève le voile de l’oubli, plus lourd qu’un linceul » et se souvient de ce qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Il se souvient de son enfance rude, aux relents amers, de la sourde violence qui longtemps a occulté ses souvenirs
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- Note de Françoise Ruban sur son blogue, 8 novembre 2016
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- Note de lecture de Marie-Josée Desvignes [le 17.5.2016]Il est des livres qui réclament qu’on les rouvre à la première page, sitôt la dernière tournée. Il est des livres dont on ne comprend pas que l’on ait pu passer à côté sans les voir. Il est des livres qui longtemps nous suivent parce qu’ils parlent au-delà de l’âme, à ce qui, au plus profond de nous, n’attend que de se dire, dont l’écriture bouleverse tout autant que le propos. Une mère, Le cri retenu fait sans aucun doute partie de ceux-là…
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- Article de Philippe Leuckx sur revue Texture, 2016Les aveux sont nets et coupants comme seule la grande littérature peut inciser : s’il faut des comparaisons, citons Blesse, ronce noire de Louis-Combet ou La peau sur les os d’Hyvernaud ou encore La première habitude de Françoise Lefèvre. Puisque la grande littérature s’offre sans apprêts, glaçante s’il le faut, hallucinante de vérité…
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- Article de Marilyne Bertoncini dans Recours au poèmeDe son style-scalpel, Pierre Perrin fouille ses souvenirs, sculptant, remplaçant – par l’itération de ses boucles et reprises – l’éternité jamais atteinte de l’éternel retour. Par l’écriture, il redonne chair à un fantôme – et c’est la chair des ses mots. Par touches, comme un peintre…
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- Article d’Angèle Paoli sur Terres de femmes, 2015Un très beau livre qui touche en profondeur, tant par la qualité d’une écriture très personnelle que par l’exploration sensible des sentiments qu’elle donne à vivre. Et à partager. Une fois le livre fermé…
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- Lectures de Franck Balandier et Ève de Laudec, février 2016Au fil des interrogations adressées tout autant à sa mère qu’à lui-même dans le labyrinthe des possibles, on accoste aux nœuds de chagrin, que l’auteur tente de démêler. Il questionne sa mère plus librement depuis qu’elle est morte, et ce parcours d’écriture le conduit doucement à certaines réponses avec lesquelles il devra s’accorder, s’encorder.
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- Bernard Pivot, Didier Pobel et Claude Michel Cluny, 2002Dans l’art d’esquisser des fresques que ne renierait pas Courbet. Dans cette manière rude et douce à la fois, pieuse et révoltée aussi, de creuser des phrases comme des sillons que le narrateur traçait, enfant, cramponné aux manettes du tracteur “Pony”. […] Se souvient-on que ses bouleversantes Chroniques d’absence étaient déjà vouées à celle qui l’engendra ? On mesurera par ce rappel toute la constance d’un écrivain qui, à jamais l’œil rivé par-delà l’épaule du néant, offre à sa génitrice – et, partant, à toutes les mères – un poignant témoignage, tout à la fois révolté et apaisé, de fidélité filiale. « La sérénité réside dans la tâche accomplie. »
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- Pierre Ceysson, Christophe Dauphin et quelques autresJ’ai relu le Cri retenu. J’en ai retrouvé l’émotion faite de déchirement, de violence, de souffrance contenue que l’écriture cadre. Les textes poétiques sont remarquables de cristallisation sensible : sans doute, ce qu’il y a de plus “retenu”, donc de plus de plus dense et de plus “appellant” dans la lecture. Le tissage du cri (de la première à la dernière page), le début qui se rédime dans le dernier paragraphe ; le “dépecé”, le tas de fumier, les rats, le concret sous les doigts (dahlias) et le regard (séminaire, champs), les formules terribles et les titres venus de la “terreur initiale” et la culpabilité de l’abandon : tout cela m’a ému et me paraît solidement ancré profond
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- Marie-Françoise in le café littéraire luxovien, 2002Le Cri retenu, c’est celui que l’auteur voudrait qu’enfin sa mère entende à travers ces pages où il se livre, où il la livre, sans fard. Déplorant de lui avoir manqué, essayant après bien des années de la comprendre, de s’approcher par bribes de son secret emporté dans la tombe. Ces pages, il les écrit comme une confession : « L’admiration qu’elle méritait ne montait pas vers elle » ; « je t’ai martyrisée sans y penser, sans réaliser que ton cancer m’était dû. » De nature peu portée au rire…
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Et soudain, autour de cette mère à la gifle aisée, à l’indifférence lasse devant les bouquets de fleurs des champs rapportés par le petit garçon pour tenter quelque chose, tisser un fil dans ce qu’il pressent déjà comme un chemin ombreux, difficile, douloureux, le mot “Maman” se pose, sans incongruité, sans impudeur (difficile de faire plus pudique que ce livre où pourtant la langue éclate pour “dire” les non-dits), dans un détail trivial, une odeur, un geste. Comme si cette mère , “Une mère” comme le veut le titre, redevenait “maman” autour d’un état de nourricière, de dispensatrice de douceur, pour un instant.
“Ainsi, maman qui des coings faisait ma confiture préférée, tu coules entre mes doigts...”
Ce qui m’a touchée le plus dans ce récit est l’honnêteté, la clarté avec laquelle l’auteur parle du livre lui-même, de ce que lui coûte (ou non d’ailleurs) son récit, la remontée de ce fleuve d’ombre, ce visage aimé-haï qui n’en finit plus de se “racheter”, comme on rachète un être indocile passé un temps de l’autre côté.
“Ma mère durant tout ce temps n’habitait jamais qu’un fragment rarement porté à la lumière, si souvent sombre pourtant, de moi-même.”
Bien sûr la lectrice que je fus de ce livre, et re-lectrice, ne pouvait pas ne pas convoquer en le rouvrant son propre statut de mère. Un livre qui fait réfléchir sur soi-même est de ceux qui comptent, à mon propre horizon, en tout cas.
J’ai fait le choix d’en parler ici sur un mode plus épidermique qu’analytique, Alain Nouvel ayant honoré cette part sans qu’il soit besoin d’en rajouter. Il est très difficile de partager à hauteur du plaisir ressenti : les gens qui ont aimé un livre ou un film, sauf à être critiques professionnels, font bien souvent les pires prosélytes, et je ne m’exclus guère du cas de figure. Me reste un dernier conseil, et d’évidence : si vous souhaitez y voir plus clair, lisez -le, ce livre, qui pour parler d’une morte n’est ni funèbre ni lugubre, car s’y trouvent bien des passages sur le sol, la terre, les murs de pierres, les fleurs, les jardins, la vie, quoi, et ils sont les écrits d’un humeur au fin nez, d’un goûteur, d’un œil aigu à qui n’échappent ni l’envol, ni l’eau, ni les saisons.
“Lisez ce livre”... Il y a mieux à dire pour terminer ceci. Relisez le.
Joëlle Pétillot, Le Livre des visages, 23 août 2017