Une lecture d’Une mère, Le cri retenu par Murielle Compère-Demarcy
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  • Murielle Compère-Demarcy
    Lecture d’Une mère, Le cri retenu, [août 2018]

    couv. Une mère, chez l’éditeur

    Ce livre n’est pas seulement un « récit » autobiographique, puisqu’il s’adresse « à nos mères », à savoir à cette figure incontournable et mystérieuse de nos singulières mythologies personnelles. « Pour l’enfant de la campagne qui se croit indésiré », lit-on en quatrième de couverture, « l’affection est rare et rude, à la mesure du mutisme qu’on lui oppose ». Nous sommes loin ici de l’univers de l’ « Enfant-Roi » souvent choyé au 21e sècle et parfois blasé d’être trop gâté. Nous ne sommes pas non plus dans le récit d’une enfance malheureuse. Nous suivons l’auteur – le poète Pierre Perrin – dans son cheminement rétrospectif pour tenter de comprendre et donc de (re-)trouver une mère avec laquelle la communication ne fut pas simple, non par hostilité, mais par la puissance du destin d’une mère « humble par force », mère « aux ambitions abattues, malgré tout exemplaire d’honnêteté et de ténacité ».


    Le titre et sous-titre en italiques des six parties interpellent, comme cela est souvent le cas dans l’oeuvre de Pierre Perrin qui emploie et juxtapose volontiers, dans une même phrase, dans un titre, des termes ou groupes de mots apparemment antinomiques dont les univers contraires s’exaltent ou s’exacerbent de leur friction/réunion. Ainsi le poète nous annonce pour la partie IV : « La tendresse atroce. Une bouche inutile », pour la partie VI : « L’être qu’on oublie. L’aube relevée. », pour la partie VI : « Oublie la fosse. L’adoration ». Cette surprise du lecteur à la découverte des titres de chapitres pierres d’édifice du récit l’incite à aller voir de plus près de quoi il retourne après les lignes sommaires…
    Deux sous-parties se déroulent dans chacune des six parties qui constituent un acte en deux scènes, la seconde déclinant ses caractères narratifs en italiques. Chaque partie correspond à une période de vie de l’enfant Pierre Perrin, qui ressurgit et laisse l’auteur/narrateur qui se souvient, presque un demi-siècle plus tard, « […] la gorge sèche, dans le puits des années mortes ». En racontant la vie de sa mère, Pierre Perrin retourne au pays de son enfance et s’adresse post-mortem à cette mère à laquelle il n’a pas dit la tendresse qu’il aurait dû selon lui lui confier pour « conjurer la défaite » d’une mère « abandonnée, seule ». Il adresse à sa mère défunte une lettre d’amour longue de 154 pages, poignante tant que le lecteur serre des poings à certains passages du livre qu’il sait être les siens, doigts pliés sur ses propres regrets (« remords »/ « repentirs ») ou souvenirs souterrains d’un puits perdu.

    « Je reste le coeur dévoré d’incertitudes. Les reins cordés, les côtes striées de nœuds jusqu’aux épaules depuis des années, les remords rabattent comme la fumée dans la cheminée. Tout ce que je ne t’ai pas donné, tout ce que je t’ai volé de naturelle tendresse, de joie, de paix, qui m’auraient peu coûté, monte dans ma gorge, coud mes paupières sans contenir mes larmes. C’est trop tard, irrémédiablement, voilà que je t’aime. Tu n’es plus là pour sourire, de tes lèvres si tristes, qui ne sifflaient pas l’amertume. Insultée parfois, saisie à la gorge, tu me rejetais sans violence, tu pleurais. Tu ne condamnais que mon orgueil. »

    La vacance intime ne se comble pas, mais l’Écrire peut tenter de faire se rejoindre par-delà la mort des êtres qui ne parvinrent pas à se parler contraints chacun de jouer son rôle familial et de s’y tenir. Des êtres séparés par un gouffre générationnel qu’il est si difficile de colmater par l’écoute, l’attention et le respect, surtout lorsqu’on est enfant et que les adultes d’emblée représentent ce que l’on ne veut pas devenir. Pour d’autres lecteurs ce livre d’amour testamentaire à une mère servira peut-être de déclencheur pour franchir un non-dit pour lequel il faut parfois toute une vie pour le surmonter. Du moins Une Mère – Le cri retenu allume, par son témoignage saisissant et ses mots à vif incrustés dans les pages vivantes d’un récit de vie, l’espoir que l’amour maternel/filial, quels que soient les non-dits, trouve parole au-delà des rencontres concrètes et des contingences qui, immanquablement, un jour s’éteignent. Peut-être restera-t-il de ce livre, écrit Pierre Perrin, « comme un parfum qui s’étiole sans tout à fait mourir malgré la nuit, un peu des gestes, des lèvres, de l’âme de ma mère que j’aurai cent fois tenue entre mes bras, je crois, jusqu’à son dernier souffle. ». Peut-être que le temps attendait que l’enfant-poète Pierre Perrin ait la force d’ouvrir ce "livre de sa mère" sur le seuil de l’oubli rattrapé de justesse par le recueillement d’une mémoire individuelle voulant laissant trace des ancêtres et par là de notre passé à tous. De notre Humanité.

    Murielle Compère-Demarcy, septembre 2018, note parue sur le site de Texture


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