Pierre Perrin, La Porte et autres poèmes
Une note de lecture de Michel Baglin sur Texture
Avec ce recueil paru pour le festival de Montmeyan, Pierre Perrin propose un choix de poèmes en prose extraits de deux de ses recueils, La Vie crépusculaire, épuisé depuis longtemps et Des jours de pleine terre, inédit.
De La Vie crépusculaire, prix Kowalski 96, j’écrivais dans La Dépêche Magazine, Toulouse, le 12 janvier 1997 : Le recueil est, comme les précédents, marqué par le souvenir d’une enfance paysanne et pauvre. Mais on y chercherait en vain la moindre concession à la rusticité. Perrin évoque une vie âpre, prosaïque, laborieuse et fruste en des textes hantés par la solitude, la fatigue, la mort. La vérité poignante que recèlent les scènes suffit à faire la force et l’universalité de cette poésie de l’émotion toujours confrontée à la précarité de notre condition : « Si peu d’années pour tenter de vivre, et tant de gaspillées dans des tunnels sans fin », à travers une écriture charnue, rugueuse parfois, mais où les métaphores sont chargées d’énergie vitale et s’éclairent d’une lumière intérieure.
Qu’on y évoque des amis, et « leur cœur est tanné de soleils mis en gerbe ». Qu’on y parle des femmes, dont la présence éclaire toute la seconde moitié du recueil, et c’est alors la sensualité qui sauve de la déréliction dans un « monde toujours à refaire ». Ici l’on aime avec « des forces nourricières » et les plus beaux poèmes sont probablement ceux consacrés à l’amour physique, qui se confond avec la célébration de la terre et peut-être de la présence reconquise : « Sous l’homme fait perçait l’enfant toujours perdu, mais le plus souvent maintenant il jouissait au présent ». […]
- La Porte et autres poèmes, 2018, une vingtaine de retours de lecture
Acquisition du recueil
- Retours de 2020 [Michelle Ronin, Véronique Elfakir, Philippe Colmant]Le style de Pierre Perrin est aussi celui de ses maîtres. Il excelle dans l’utilisation de ces questions rhétoriques dont la réponse immédiate fuse comme pour en annihiler la vanité.
- Lecture de Marie-Claude San Juan sur Trames nomades 2/7/19une conception de la poésie qui compte : conscience de soi, et conscience du monde, dire et déchiffrer l’énigme du processus poétique que l’écriture permet de penser
- Deux notes de lecture de Michel Baglin sur TextureUne écriture charnue, rugueuse parfois, mais où les métaphores sont chargées d’énergie vitale et s’éclairent d’une lumière intérieure.[…] Des textes puissants, qui reviennent sur l’enfance […] On est loin ici de la poésie ornementale ! L’expression y est ramassée…
- Deux notes de lecture d’Alain Nouvel et Jeanne OrientC’est une poésie de l’humilité et de l’humus, une poésie des genoux dans la terre. Elle a la rudesse de qui se sait mortel et qui se cabre. La poésie d’un solitaire dévoré par cette étrange culpabilité de la perte, lequel sait se dire pourtant : « C’est étonnant comme une voix peut ouvrir les bras », la poésie d’un solitaire rédimé par l’apparition miraculeuse d’un « nous » : « Si le monde nous tire par la manche ? Peu importe ! Tu es là comme le vent dans l’arbre, au matin la lumière
- Une note de lecture par André Campos RodriguezDans l’écriture de Pierre Perrin, il y a du Janus, qui fut considéré comme le dieu des Portes, justement, car comme lui elles regardent de deux côtés. Quand les Romains étaient en guerre, on ouvrait les portes du temple de Janus pour signifier que ce dieu était aussi parti au combat. On les refermait quand la paix était rétablie. Le lecteur se retrouve donc avec deux versants, ou deux visages, mais l’unité de l’ensemble est sauvegardée grâce au style impeccable et rigoureux du poète…
- Retours de Tison, Mathé, Fontaine, Farina, Pobel, BrognietL’ensemble du florilège, tel qu’il est, me plaît : j’y retrouve ta voix singulière, pleine, avec des moments rugueux ou acérés. Bref, une écriture qui a une personnalité. [Jean-François Mathé, 10 juillet]
- Une note de lecture de Murielle Compère-DemarcyDès le texte d’ouverture la voix du poète se reconnaît, dans sa capacité à simultanément abstraire et a contrario concrétiser – d’une situation, d’un état des lieux, d’un événement – toute une symbolique vrillée aux chevilles du vécu. […] Concise et sans concessions l’écriture du poète accède au cœur des choses sans états d’âme, mais puissamment.
- Une présentation par Christophe Forgeot [Montmeyan]Finalement, je me plais à subodorer que si Pierre Perrin éprouve le besoin de rompre, c’est qu’il s’entraîne, dans une sorte de sagesse inconsciente, à ce qui sera peut-être son ultime rupture. Sauf qu’à ce jour, personne n’a pu lui prouver qu’il y aura, là, un passage, une renaissance, ni même une autre espèce de continuité. Peu importe, différemment, Pierre Perrin aura décidé de rompre encore et de continuer.
- Premiers retours de lecture — Acquisition du recueilVos ‘prosèmes’ (j’invente le mot) sont précis et bien rythmés. Ils rendent présents ce qui vous habite. Pour moi, qui suis resté catholique, la “réelle présence” n’a aucun sens, si on ne la trouve pas ailleurs que dans les rites. Or, elle fait défaut partout, aujourd'hui. Pas chez Simenon. Pas chez René Char (merci pour lui), pas chez vous. Ce n’est pas du dogme, que je vous parle, mais de ce qu’il peut ouvrir…
Les vingt poèmes choisis parmi ceux qui composent Des jours de pleine terre, recueil inédit à ce jour, sont de même veine, ou plutôt de même glèbe : incarnés, ancrés dans le monde, la joie et la souffrance des êtres (hommes et bêtes). Des textes puissants, qui reviennent sur l’enfance : « La peur sur les rochers, le souci dans la ferme, la cécité partout aident mal à pousser droit », brossent des tableaux rustiques : « La casquette facétieuse, les mains nouées sur le manche de fourche – une nuit sans lune, la chasse fermée, il a dépecé un chevreuil », évoquent le bûcheronnage comme le travail du luthier, l’art : « L’art est amour, sinon rien. Nul ne témoigne pour la mémoire seule, mais pour le plaisir d’être au monde », le printemps, l’amour, la révolte aussi, par exemple contre un faux Résistant honoré par le canton à son décès qui suscite la parole violente : « Ce monde est à vomir, et encore ça l’engraisse ».
On l’aura compris, on est loin ici de la poésie ornementale ! L’expression y est ramassée, en voici un exemple en deux phrases : « Quand la passion paraît tarie, un séquestre s’établit. On sent épaissir sa corne intime ». Le questionnement métaphysique y est simple mais pérenne : « entre l’éternité pour le croyant et rien à qui rompt les œillères, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ? » Et la réponse hédoniste malgré la noirceur de certains poèmes : sur la terre entière, « la plénitude est notre unique raison d’être ».
Michel Baglin, in Texture, lundi 10 septembre 2018