Jean-François Mathé lit P. P.
in Friches
n° 88, 2004 — [Troisième et dernière partie]
Si Perrin est aujourdhui en équilibre, ce nest pas entre les quatre pieds dun fauteuil, mais debout sur la route étroite qui ne manque pas de faire monter vers le marcheur le vertige de ses fossés, de ses ravins. Et devant : lévidence de la mort que le poète fait mûrir en lui. Aujourdhui, détachement, colères, empoignades rudes et douces avec ce quon nous donne à vivre composent lintranquille sagesse de Pierre Perrin.
Je descends ma vie comme un homme entre les cuisses de son amour. Je la descends et je la pénètre un peu mieux chaque jour. Mon nom pendu pourtant, un souffle à un croc, je ne mentendrai pas expirer ni ne sentirai la déchirure, aucun craquement. La belle affaire ! Quel feu ne séteint ? Heureux, jaurai brûlé toute la flamme à ma portée. (« La vie comme la terre », poème inédit).
Les plus récents poèmes de Perrin (plusieurs ont paru dans des revues) sont inédits et composent un manuscrit intitulé Des jours de pleine terre. Presque abandonné, le vers libre cède la place aux longs versets, aux vers presque réguliers découpés en strophes : expansion, concentration, comme alterneraient les longues enjambées et les haltes méditatives. Ainsi va la poésie de la maturité à la fois sensible et pensante pour avancer vers lessentiel : être pleinement libre et savoir pourquoi, et le dire au cas où dautres, aujourdhui ou demain voudraient lêtre aussi. On ne saurait parler de la poésie exigeante de Pierre Perrin sans parler de « don », de « générosité » : être poète nest pas, selon lui, parler pour soi-même mais vers les autres, et même en parlant contre eux leur montrer vers quel étage de limmeuble-vie on commence à être vivant. Il faut parfois crier tant le cours des choses nous retiendrait au rez-de-chaussée ou même à la cave :
Aux muscles seuls vont les hourras. Ce monde est à
vomir, et encore ça lengraisse. (« Le
Jean », poème inédit)
Même écrasé, mon cri fendra en quatre points
cardinaux les murs des sous-sols où ils voudront remettre
à mort ce quil reste de lhomme. (« Interdit
de poésie », poème inédit)
Mais qui lira demain ? Notre civilisation instaure
le règne de la jouissance immédiate. Le livre
de fond exigeait la lenteur, la maturation, le dépassement
de soi autant de valeurs en berne. Le recul de tout
effort nest cependant pas définitif. Quand même
il ne sera pas facile de remettre lascension au goût
humain, il se trouvera toujours des purs pour relever la tête.
Pour autant, un poème nest quune bague
de mots quon s’échange en aveugle. (Note inédite)
Mais il est des mots assez forts, en poésie, pour rendre la vue à perte de vue. Comme en témoigne la quatrième de couverture de La vie crépusculaire : « Si le bonheur nexiste pas Poème au poing, lamour debout, Nous ferons tout pour linventer »
Jean-François Mathé [Friches n° 88, 2004]
et 12 entrées choisies
de la revue papier


