Jean-François Mathé lit P. P.
in Friches
n° 88, 2004 — [Deuxième partie]
Pierre Perrin a réuni ses premiers recueils (de 1972 à 1979) dans un volume intitulé Manque à vivre. Première étape dans luvre, où le « comment écrire » est plus rapidement maîtrisé que le « comment vivre ». En poésie, les pères et les frères sont vite reconnus : Jean Breton, Georges Perros ou Daniel Biga ; mais avec le passé, le présent et lavenir personnels tous les comptes sont encore à faire ou à régler. Entre confiance et désespoir (qui fait le plus souvent pencher la balance), Pierre Perrin se débat, se cogne, est cogné :
La mémoire est le plus souvent de glace, et une prison. A la rencontre dun nouvel amour, tant dombres se pressent comme proies sauvages, que jen deviens absent. Les bras men tombent, diptères géants. Parfois, je crois me reprendre. Jessaie une escalade. Je voudrais brûler mes vieilles agaceries. Je dis tout net mon désir. Avant même de lentreprendre, cest la chute ! (in Manque à vivre).
« La marche à lamour », avant quelle ne trouve son accomplissement, est, parmi bien dautres, une ligne brisée, brisante. Et le bilan de la jeunesse pourrait bien être : solitude, échec à vivre. De ce volume, je ne saurais mieux dire quYves Martin dans sa postface : « Cette poésie me fait songer aux coulisses dun théâtre avant la représentation (mais y aura-t-il représentation ?) avec lénervement, les colères, les confusions, les confessions, les collusions, les reproches, les réparties, les invectives, tout cela [ ]. Perrin est de la race des dépecés ; pas une veine, un nerf, pas un afflux néchappe à lil, au canif, à la saisine ».
Tournant dans luvre : en 1996 paraît La Vie crépusculaire, recueil où lécriture na rien perdu de sa force, mais celle-ci est moins dispersée dans lexacerbation des contradictions. Cest une force plus concentrée, comme celle qui, plutôt quà lancer des pierres, sert à les soulever pour les entasser, voire les maçonner, comme pourraient en témoigner lunité formelle de la prose et la forte architecture du livre. Livre de remise en ordre, de remise en marche, ou, comme C.M. Cluny lécrivait prudemment à la forme interrogative, accès à « la sérénité, malgré tout ? ».
Le recueil souvre sur le passé et sur ce quil pousse encore comme une corne au plus profond des reins : images du père, portraits de la mère entre hommage et ressentiment Mais du passé, ce qui est comme brûlé, liquidé, cest le poète que fut Pierre Perrin lui-même :
Un jour il avait relu, comme on écosse des petits pois, ses livres, et le dégoût lavait accablé. Linsignifiance et la prétention allaient de conserve, tel un chien débile, trop court. Aucune grâce, ni lalliance dune image argumentée, ni, sur la table des concepts, une sensation qui picorât juste. Il avait cru tisser des fils de lumière et, pour cela, chéri la douleur. (« Le change », in La Vie crépusculaire)
En finir avec la complaisance pour la douleur nest pas en finir avec la douleur elle-même, mais sans balayer les insatisfactions, ni langoisse, les poèmes accueillent des sensations déquilibre, de calme, de « sourire par tout le corps », de terre « tendre à la narine et douce aux doigts ». Il y a aussi lexpansion de la sensualité dans lamour réalisé, le fils, la maison bâtie. — Achever la lecture