Pierre Perrin : Note à propos de l’écriture

Note à propos de l’écriture

De toutes nos conventions, celle qui permet le plus d’extrapolations, c’est le langage. La mathématique n’a rien à envier à l’amour. Même la mesure de nos sommets varie. Le désir fait la langue, la manipulation l’accomplit. On le voit bien dans l’écriture, qui est le fourreau de la voix. Elle en appelle à la raison, c’est sa force ; mais pour la raison même, la moindre ligne exige une foi tacite. En veut-on une preuve ? L’héliocentrisme de Pythagore à Aristarque de Samos perdu, près de deux millénaires plus tard, Copernic, Galilée, Kepler ont imposé leurs découvertes. Pourtant quel Français ne répète aujourd’hui sans sourciller que le soleil se lève et se couche ? L’image prévaut. La science n’a pas effacé la foi que trahit le langage. Or, si rien ne tient que par agrégats, l’éradication de certains mots, dont l’âme, l’éternité, n’appartient pas à la recherche de l’exactitude. L’anathème signe son sectaire. Et un coin, quand même il se prendrait pour une masse, est loin de tout vivre. L’homme reste donc un animal qui parle. Il parle beaucoup. Mais il écoute peu. Le prosélytisme l’aveugle. Un danger le fait taire. Et l’écrivain, pour habiter le monde, loge, comme l’escargot, sous sa coque de mots. Comme c’est du seul intérieur qu’il lui faut briller, la prudence aussi est son alliée, et la trahison sa conjuration journalière. — 

Pierre Perrin, note retravaillée le 29 février 2004 [à paraître]

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