Note à propos de l’écriture
De toutes nos conventions, celle qui permet le plus dextrapolations, cest le langage. La mathématique na rien à envier à lamour. Même la mesure de nos sommets varie. Le désir fait la langue, la manipulation laccomplit. On le voit bien dans lécriture, qui est le fourreau de la voix. Elle en appelle à la raison, cest sa force ; mais pour la raison même, la moindre ligne exige une foi tacite. En veut-on une preuve ? Lhéliocentrisme de Pythagore à Aristarque de Samos perdu, près de deux millénaires plus tard, Copernic, Galilée, Kepler ont imposé leurs découvertes. Pourtant quel Français ne répète aujourdhui sans sourciller que le soleil se lève et se couche ? Limage prévaut. La science na pas effacé la foi que trahit le langage. Or, si rien ne tient que par agrégats, léradication de certains mots, dont lâme, léternité, nappartient pas à la recherche de lexactitude. Lanathème signe son sectaire. Et un coin, quand même il se prendrait pour une masse, est loin de tout vivre. Lhomme reste donc un animal qui parle. Il parle beaucoup. Mais il écoute peu. Le prosélytisme laveugle. Un danger le fait taire. Et lécrivain, pour habiter le monde, loge, comme lescargot, sous sa coque de mots. Comme cest du seul intérieur quil lui faut briller, la prudence aussi est son alliée, et la trahison sa conjuration journalière. —
Pierre Perrin, note retravaillée le 29 février 2004 [à paraître]