Pourquoi avoir choisi l’enseignement ?

Pour peu quon ouvre les bras, vivre cest passer. Tout être est un passeur le professeur à double titre. Non seulement, la société lui confère cette fonction, mais le professeur de lettres doit transmettre deux témoins. Lacquisition de la maîtrise de la langue est le premier droit de lélève. Le langage ne garantit pas la liberté, mais lexercice de la liberté saccommode mal du silence complice, encore moins forcé. Le second témoin quil incombe au professeur de transmettre est le goût de la lecture. Au terme, se lève la littérature.
Pourquoi lire ? Nous sommes, écrit Jean Grosjean, traducteur de la Bible et du Coran, des éponges. Nos idées ne viennent pas de rien. Il faut, pour les faire siennes, sans se laisser trop abuser, un espace de réflexion que ni le café du coin, ni la télé, quand elle racole ou quelle roucoule, ne peut combler. Contre le rouleau compresseur de la modernité consumériste, cest donc à un véritable acte de résistance que le professeur doit sattacher librement. Il dépend de lui dabord que le citoyen ne reste pas crédule. Rendre capable de comprendre ce que lautre dit, ce quun texte affirme péremptoirement et dans ses replis insinue, cest cela le travail du professeur de lettres. Mais cette mission saugmente aujourdhui dune nécessité plus large. Quelle que soit la finalité de lart, jusquà son autodestruction à quoi le vouent certaines avant-gardes, la connaissance de notre littérature va de pair avec la perpétuation de notre civilisation. Le Sartrosisme, la Barthalgie sont des épiphénomènes ; langlomanie, un prurit ; le vrai danger est labandon de la langue*. Et ce nest pas en décrétant trop arides nos classiques, de Montaigne à Yourcenar, quon perpétuera notre culture.
Mais la culture, dira-t-on, par létude des chefs-duvre et donc la célébration du passé, perpétue les inégalités sociales. Ce nest pas faux. Cependant, si laspiration à légalité est un droit absolu, celle-ci peut-elle ignorer ce quelle se propose de renverser ? Quel professeur défendrait lincurie du grand monde que Proust, tout le premier, dénonce ? Quel autre perpétuerait limposture du grand soir en tisonnant le mentir-vrai du Roman inachevé ? Peut-on ignorer le sol culturel à partir duquel chaque individu se dresse ? Léducation, cest le refus du péremptoire. Pour autant, ce nest pas lanarchie et encore moins le nihilisme [lire ce quen dit Platon, en dix lignes, cliquer ici]. On voit mal comment limprovisation systématique à partir de rien pourrait conduire à létablissement dune société géniale. En conséquence, le professeur informe, suggère, attise la réflexion dans la multiplicité des champs que les programmes lui demandent dexplorer. La conquête de lautonomie passe par le débridement de lesprit, donc par une acquisition critique des savoirs.
Nos deux sites denseignement que nous avons fermés en 2012, après 580 263 visites au compteur, l’actuel alors reparti de zéro, relevaient de cette attention. Il sagissait de donner aux élèves des repères et autres prises de confiance et de conscience. [Exemple d’une préparation de cours pour des Tales, Les Planches courbes d’Yves Bonnefoy, 2006.] Les deux sites présentaient, le premier des lectures, le second des séquences, toutes ressources souvent originales, jusquà travers des sujets de bac proposés, par exemple.
* Depuis 1998, pour servir lOtan, le commandement militaire ne sexerce plus en Français. Les découvertes de tous ordres doivent être publiées dans la langue du plus fort. Labandon nest donc pas un vain mot.