Proposition sujet EAF
La poésie & convaincre persuader
Texte A : Jean Pérol , « Éducation », Le Cœur de l’olivier, 1957 ;
Texte B : Jacques Réda, « Salut », Lettre sur l’univers, 1991 ;
Texte C : Pierre Perrin, « Un crime d’état », Des jours de pleine terre, 1998
Texte A
Éducation — 1940
Le soleil se levait sur un champ de patates
où nous étions traqués enfants collés à terre,
le ciel se déchirait sous les ailes d’avions
et brisait ses cristaux quand les balles claquaient.
Une femme râla sous les plants de patates,
je fixais ses yeux bleus qui tanguaient sur la terre,
dans la peur vrombissante les piqués des avions j’ai compris son regard et son dernier hoquet.
Dans la France assombrie tempêtait la cantate
de la guerre. Et les chars allemands ferraillèrent,
leurs chenilles grincèrent sur les pavés de Lyon.
Soudain le léger vivre comme une branche cédait
(Silence ensoleillé sur la Saône et ses quais). |
1944
Je marche dans le feu et le fer qui se tord,
je marche dans les rues de Dortan la martyre –,
sous les maisons brûlées pétillent les carcasses
des toits, des lits, de mon enfance disloquée.
Dans l’allée du château des gens parlent de morts
trouvés au fond du parc quand les nazis partirent,
de longs cris de tortures, de jambes que l’on casse,
de femmes violées ligotées aux loquets.
Je suis devant la fosse et mon ventre se tord
(Silence ensoleillé sur les corps des martyrs)
et le ciel de soie bleue tout doucement enchâsse
l’arbre où pendent des liens en de sanglants paquets.
La haine devenait ce livre qui marquait
et l'horreur de la guerre dans son camp nous parquait. |
1952
À seize ans je chantais « Quell’conn’rie la guerre
Barbara Barbara quell’conn’rie la guerre »,
plus qu’en n'importe qui je croyais en Prévert,
la Corée l’Indochine chaque jour me traquèrent.
À vingt ans j’ai rejoint ceux qui ont du courage
(Silence ensoleillé sur leurs mots semblant sages)
pour qu’enfin la nuée ne porte plus l’orage,
pour que vive la vie et meure le carnage !
Jean Pérol, Le Cœur de l’olivier, 1957 |
Texte B
Salut
À ceux qui sont morts sans ami dans une infirmerie
Par un après-midi d’été massif à Toul, à Metz ;
D’une balle contre un talus, au bord d’une prairie ;
Dissous dans l’air, dans l’eau salée, et tous pour la patrie
(Et quelques-uns d’apoplexie en revenant du mess) ;
Aux derniers escadrons portant la crinière et la lance
Qui pendant la Marne ont chargé les premiers vrais avions ;
À tous ceux qui (debout les morts, les vivants s’en balancent)
Se sont encore un coup extraits des boyaux en silence,
N’ayant jamais voulu cela (non, mais nous le devions) ;
À ceux qui cinquante ans après, du côté de Rufisque,
Ont sorti la capote en drap mitée avec sa brisque,
Leur quincaillerie héroïque et le gros ceinturon,
Pour revenir, sans dents, la tête grise et le menton
Tremblant, saluer devant Douaumont et le Mort-Homme ;
Au soldat Bachir Mohammed qui, sans fleurs ni couronne,
Est tombé le 20 juin 1940, pour des clous,
En défendant un pont sur la Loire en Anjou, doux
Jardin de la France.
Jacques Réda, Lettre sur l’univers, 1991 |
Texte C
Un crime d’état
La gerbe et le salut commémorent non la paix, la victoire.
L’orgueil toujours prévaut sur la mort. Les braves encore
Dociles, qui tremblent sous les bannières, furent la chair
À boucherie. L’horreur était à jamais tue. L’exemple aussi
Tuait le doute soudain pire qu’un déluge de feu ennemi.
Guillaume ne parle en rien de tailler en pièces la piétaille.
Lou, du quart de cavalerie*, Madeleine à sa suite tonnaient
Joyeusement sur les tranchées. Au réveil pourtant, la boue
Partout ; des boyaux, sortaient des rats à l’arme blanche,
Qui tenaient mal debout, qu’on poussait à l’assaut des gaz.
Et tous, terrés puis jetés sous la mitraille, abandonnés les
Fiancée ou femme, enfants, la maison, les moissons, fous
De voir tant de broyés, amputés vifs, brûlés aux bronches,
Pour rien mais pour toujours immolés par le fait du prince,
Juraient encore : plus jamais ça. La gerbe ne désarme rien.
[11 novembre 1998]
Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, (inédit, 1998)
* Référence à un vers de Guillaume Apollinaire : « tes seins rempliraient un quart de cavalerie » ( Poèmes à Lou, « L’Attente », poème 27) |
Questions : 6 points
Expliquez le choix du titre du poème de Jean Pérol « Éducation » [3 points]
Comment le souvenir est-il exprimé dans ces trois poèmes ? À quelles fins ? [3 points ]
Écriture : 14 points
- Commentaire :
Vous ferez le commentaire du poème de Jacques Réda, « Salut »
Vous pourriez montrer comment le poète associe ici le respect des combattants de 14/18 et l’irrévérence envers la hiérarchie militaire pour mieux condamner la guerre.
- Dissertation :
Pensez-vous que la poésie puisse être – ou avoir été – une arme efficace pour dénoncer les guerres ou les conflits entre les hommes ?
Vous appuierez votre propos en vous appuyant sur les textes du corpus et ceux que vous avez pu lire au cours de votre scolarité.
- Écriture d’invention :
Vous écrivez à celui de ces trois poètes contemporains qui vous a le plus touché pour lui exposer comment vous réagissez à la lecture de son poème – pour l’approuver ou le contredire.