Pierre Perrin, ‘Les Carnets de haut bord’ : Utilité de dire ou non des horreurs pourtant quotidiennes ?
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  • Utilité de dire les choses ?
    « Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit »

    Montaigne, au XVIème siècle, dénonce la torture. Il explique comment l’innocent, intérieurement faible par nature, ne peut qu’avouer ce qu’on veut lui faire dire, tandis que le malfrat, rompu aux horreurs, est “naturellement” armé pour résister. En conséquence la torture, qui arrache des aveux-pour-en-finir-avec-la-douleur, légitime la relâche des pires coupables. Cet argument, que normalement on étudie au lycée, est frappé au coin du bon sens. Or la torture reste de règle dans de nombreux pays !

    La Fontaine, La Bruyère, entre autres, dénoncent les féroces inégalités de condition. On a changé le vocabulaire, mais pas la réalité. Les scandales continuent. Il suffit d’ouvrir chaque semaine Le Canard enchaîné pour s’en convaincre. Je lis, je ris, j’enrage : mépris, gabegie, impéritie !

    Voltaire, au XVIIIème, stigmatise les sectarismes et les fanatismes. Qui lit encore Candide ? Quel progrès, depuis, ou si peu ? Les attentats du 7 au 9 janvier, en France… et la manif du 11 ne fut pas exempte de sectarisme. Les œillères scintillent plus que jamais. Dans une page d’anthologie, Michel Onfray les dénonce avec force, en vain.

    Mépris, gabegie, impéritie : Depuis des lustres, des milliers de pages de “recommandations” de la Cour des Comptes restent lettre morte, classement vertical.

    Si la culture, qui fortifie l’éducation (elle asseoit les comparaisons, elle accroît le recul, etc.), avait les pouvoirs d’émancipation que Hugo lui prétait, et que la réalité dément, le panurgisme existerait peut-être moins. Or le pouvoir la réduit, la limite, la culture, et ses thuriféraires la canalisent… au caniveau. Comment ?

    • Pour le lycée, par faiblesse, on traduit les œuvres du Moyen-Âge, de Montaigne, de Rabelais. Certains lisaient le Grec et le latin couramment, il y a cinquante ans. On ne fait plus déchiffrer notre propre patrimoine ! En 1462, Villon ne rend-t-il pas la vie à ses pendus, simplement : « Jamais, nul temps, nous ne sommes assis »… Cette plainte (un pendu fatigue, oui, de ne pas pouvoir s’asseoir) serait incompréhensible ! Mais quoi ! Angot a bien dû se faire expliquer par Pirotte, voilà dix ans (sur France-Culture), l’amour d’une mère de Hugo : « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier » – un mystère, une énigme, un non-sens à ses yeux !
    • La langue est laissée à l’abandon par les élites même. Ces temps derniers, la germano-pratie [Bilger, Cayrol, Schneider, pour ne citer que trois noms] remplace à gogo le mot “unanimité” par celui d’unanimisme. Or l’Unanimisme, ce fut une école littéraire qui, au début du XXème siècle, se proposait de traduire les sentiments de larges groupes humains, rien à voir avec l’unanimité. N’est-ce pas Panurge en personne au sommet (ici médiatique) ? C’est embrouiller le peuple, sûrement.
    • La culture en cours, subventionnée à haute dose, qu’est-ce que c’est devenu ? Ne parlons pas des chansons de préférence pas françaises [Brassens, Brel, Ferrat, Ferré, au tiroir] ou si stupides qu’à la radio-de-service-public elles viennent couper sans cesse la parole des rares qui auraient à dire. Regardons la littérature actuelle mise à l’honneur, les arts en général. Trouver un style (autre que snob) au Centre Pompidou, aux colonnes de Buren ! Et l’actuelle ministre qui déclare bien connaître le dernier Nobel : elle l’a reçu à “souper” dès le prix annoncé. « On a bien rigolé », mais s’avère, trois jours plus tard, incapable de citer un seul de ses titres !
    • On sanctuarise le non-sens et l’éphémère que certains achètent plus que jamais à prix d’or

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    Pierre Perrin, ‘Carnets de haut bord’, 13 février 2015

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