Pierre Perrin, Célébration de la poésie
Extraits de pages en cours d'écriture
Combien de livres sous vitres, sous vide ? Qui lit ? Qui transmet son bonheur avec son héritage ?
Un poème offre une chambre de résonance ; gagne la beauté, l’écho ronge. La raison au contraire conduit à l’acceptation à court terme ; elle permet des accoutumances. La poésie précède donc la pensée.
Le poète pour autant ne se dresse pas sur ses ergots : sa cible est tout intérieure. Si son sujet court le monde, c’est que le monde exige d’être soulevé, réduit. Si l’enchanteur paraît quelquefois plus rêvé qu’il n’a rêvé lui-même, c’est que seul compte ce que ce qui est vécu pour son propre compte.
Pourtant un poème ne vit que reçu, repris, redit. Et pour que vive le poème, le poète paie le prix fort.
Le poète ne se contente pas de peupler le néant avant que celui-ci le réduise à sa merci. Il traque pas à pas ce qui l’entraîne dans la raie de charrue du temps. Il écrit aussi avec son corps, harassement par-dessus tête. Il est, en quête d’absolu, un entêté aux motivations complexes, un instrument : comme l’archet le violon, l’amour le fait vibrer, et puis la rage mue. Car tout le dépasse et l’enterre vivant. La vie peut bien déborder d’écumes ; rien n’écarte ses arêtes. Celles-ci que le poète recrache en beauté, si elles fécondent la littérature, agrandissent la solitude.
Il n’est pas d’art sans écart et peu de grandeur à vivre, sans une exacerbation de la solitude. Pour autant, la certitude et le poète ne peuvent se rencontrer sans dommage. C’est au reste le lot commun, l’amour sans sépulture. Combien de livres sous vitres, sous vide ? Qui lit ? Qui transmet son bonheur avec son héritage ? Sans public au cœur vaincu, quelle que soit l’opiniâtreté d’un auteur, quelle œuvre ne s’enterre aussitôt ?
Pierre Perrin, Les Carnets, en cours d’écriture