Pierre Perrin, Un voyage sédentaire
[carnets, L’amour, extraits IV]

Vous rassemblerez-vous – ne vous plairait-il pas de vous dévisager, sous les voilettes ou tel sombrero rouge et noir, la jupe fendue, le chemisier volubile –, à l’heure de l’ultime volte-face ?
Viendrez-vous, chenues ou violentes encore ? Là, qui pleurerait comme au théâtre, qui regretterait quoi ? Quels parfums retenus, quels souvenirs de passion, quels dépassements dans la tenaille de l’absolu subsisteraient à trembler, à brasiller ?
Mais non, plus d’élans ni de caresses, de secousses ni de cri, de blottissements ni d'élargissements ; plus rien de nos cavernes de soleil, quand s’ébrouait la solitude.
Le miel de vos peaux, leur douceur d’aubier conquérant, les cuisses ouvertes comme des frondes, les mollets remontés tel le saumon vers les sources, les seins dissemblables –, plus rien.
Plus de bouches multicolores ni de duvets sur la nuque ; plus de tendre rapace attentif à la joie, à mourir de plaisir, quand, souveraines, par vos ongles soudain plantés dans les côtes, vous décidiez l’extase.
Les lèvres glacées ne rouleront plus de trahisons ni tant d’attentes tues ; les yeux, paupières chavirées, sans personne. La mémoire – oubli ou haine – importe peu. Pourtant ne pourrait-il, là, sous un peu de soleil sur la neige, s’agrandir une ombre portée ?
Trop laissées, trop lassées, vous serez ailleurs, dans la vie toujours nouvelle, votre seule passion –, et vous aurez raison.
Pierre Perrin, Un voyage sédentaire, notes, éditions Possibles, 1986