L’Averse, une nouvelle [fin]
Plus rapide qu’un cri de freux jailli d’une branche au-dessus de leurs têtes, d’un saut, elle s’était arrachée de sa bouche et de ses mains si pauvrement audacieuses et, comme si c’était elle enlacée qui l’avait tenu debout, il titubait tout à coup veuf de cette moiteur qu’il recherchait déjà. Elle s’était assise ou plutôt accroupie, les pieds loin l’un de l’autre sur une bûche en porte à faux qui balançait imperceptiblement d’avant en arrière, quand soudain couine et détale un rat vers un trou béant parmi d’autres à mi-hauteur de la paroi ; elle rit encore de son trouble. Il fronce les sourcils, la bouche ouverte à l’appeler comme on appellerait une morte. Inachevé le regard circulaire. Les pieds pèsent des poutres. Tourbillonne une envie de s’abattre au risque de se fracasser la mâchoire. Cependant elle fait glisser sa petite culotte et ses jambes tricotent à la jeter loin. À genoux de part et d’autre de la bûche, la chaleur de ses cuisses tout à coup brûle les siennes qu’elle comprime, sans violence ; au contraire, entre l’écorce et sa chair à elle, il naît du plaisir. Mais il n’y songe guère car, si les oiseaux dont il devinait quelques déplacements continuaient leurs croassements imprévisibles, les feuilles s’agitaient tout à coup ; un vent lointain, insensible au fond du trou, devait accourir. Le ciel toujours plus s’assombrissait et on allait s’inquiéter de son retard. Pourtant ce qu’il découvrait là…
Sur son ventre, ce n’étaient plus des doigts qui pianotaient. Des lèvres le happaient tendrement, des lèvres chaudes le saisissaient, l’enserraient, l’enfournaient. La langue doucement râpeuse le meulait. Les dents mêmes tournaient telle une bague. Et tandis que, les mains sur sa nuque, sous ses boucles, il resserrait ses poignets contre les fines oreilles, un arrachement lent, une avancée presque immobile et pourtant torrentielle le faisait se plier sous elle qui se tordait tel un pied de vigne printanier. Dans le même temps elle l’appelait, les dix doigts à la varappe entre les cuisses. Et ils s’arrêtaient, se reprenaient en sueur, emportés, frémissant tels des chiens à courre, avec une fougue telle que des râles parfois s’échappaient de la combe. C’est alors que l’orage a éclaté, en même temps qu’un terrible coup de tonnerre au-dessus du village ; des éclairs l’avaient précédé, qu’ils n’avaient pas vus. Et soudain ils riaient, se dressant tous deux la tête à la renverse, pour boire ensemble goulûment cette pluie torrentielle, un délice de plus.
Les gouttes cinglaient le visage dont les éclairs révélaient dans une lumière propre l’intensité du partage, comme si les gosses ne faisaient plus qu’une torche. Cependant les souliers déjà trempés, des rigoles se formaient à l’entour du précipice révélant des dizaines de trous de la grosseur du poing. Les coups de tonnerre assourdissaient les oreilles. Mais eux criaient encore au ciel en se broyant les mains. Pour se hisser, en riant moins, ils s’agrippèrent à des arbustes dont certains cassaient entre les doigts. Il l’aidait du mieux qu’il pouvait, la main brûlante ou assurant une cheville. Parfois il glissait lui-même et elle criait de peur, mais d’une peur presque heureuse, immobile soudain, quand il ne l’attirait pas avec lui dans sa chute. Les violettes, fouettées par l’averse plus fine maintenant que les éclairs s’éloignaient sur un village voisin, pénétraient leurs narines. Sur le sentier, ils se séparent, bien que leurs doigts ne veuillent pas se quitter. Et chacun bifurque pour rentrer chez soi où l’attend, mais cela n’a pas d’importance, une averse d’une autre trempe.
Pierre Perrin in Théodore Balmoral, 1997, etFranche-Comté, 1999