Pierre Perrin : Les Carnets — Pourquoi la littérature ?
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  • Pierre Perrin, Pourquoi la littérature ?
    extrait d’une conférence

    Nos ancêtres étudiaient pour comprendre la marche du monde et quelle place était dévolue à l’espèce. À l’origine était le Verbe, disait la Bible. Et puis le Verbe s’est fait chair : le Logos s’est incarné. Chez les Grecs, l’admirable formait un couple : le Logos et la Nikè, la Parole et la Victoire. Ce couple d’ailleurs ne confinait-il pas à l’androgyne ? La belle Nikè, déesse d’Athènes, berçait la démocratie. Le héros et le charisme emportant la victoire, tels étaient donc l’alpha et l’oméga de la Beauté (l’éphèbe, c’était le sanctuaire de la jeunesse).

    Mais le propre de l’admirable, c’est qu’il ne dure pas plus que le reste. Un haut fait chasse l’autre – la bonne mémoire est celle qui oublie vite – et le plus beau discours se voit dissout par le silence. La Bible, avec la Terre promise, abreuvait l’espérance de tout un peuple. La diaspora côtoyait la Vallée de larmes des chrétiens. Il arrivait que l’une chevauchât l’autre, sans ordre.

    La littérature, en rendant mémorable ce qui méritait de l’être, palliait la légèreté, les carences des mortels ordinaires. Elle a légitimé le besoin d’avenir que les seules religions ne pouvaient combler. Puisqu’on se souviendrait, et que l’exemple donné améliorerait l’ordinaire des générations suivantes, le sacrifice acquérait un sens ; il pouvait être décuplé. L’homme se surpassait dans sa vie, non seulement pour lui, mais pour les enfants de ses enfants et les siècles à venir. Il pouvait se battre pour la paix. Le sculpteur défiait Chronos. La mort était tenue en joue ; sa victoire sur la beauté paraissait moins complète.

    La décomposition rentrait dans l’ordre de la vie.

    Pierre Perrin, Conférence sur la création littéraire, un extrait, 2005

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