La Mort du chien — Le Cri retenu
Youpi forcissait de semaine en semaine. Émerveillé par la ronde puissance qu’il prenait, sans rien perdre de ses tendresses, l’enfant résolut de l’atteler à un traîneau. Sur les chemins, le chien tirait d’enthousiasme. On eût dit que le ciel vibrait aux encouragements de voix, aux jappements qui leur répondaient. Le traîneau de petite taille, presque aussi léger qu’une luge, que le grand-père avait assemblé voilà longtemps, parfois versait dans un virage ou une ornière traîtresse et l’enfant riait aux éclats. Il remettait d’aplomb l’attelage, la course reprenait de plus belle. Quand la neige fut fondue, une petite charrette continua les folies. Sur deux roues de poussette, deux longerons de frêne incurvés et terminés en brancards garantissaient la solidité de ce tilbury miniature. Il y avait même un siège à dossier. L’enfant et son chien sillonnaient le plateau. Le chien dévorait et avait droit à de la viande que son petit maître en cachette détournait sur sa part.
Un jeudi pluvieux, l’enfant faisait ses devoirs à la cuisine. Arrive le vieux P***, une hache sur l’épaule. Et voilà que la mère tire de l’écurie le chien trop aimé jusqu’au poteau en face de la maison. Elle l’attache très court. Il s’étrangle. Pourtant il hurle en direction de son petit maître, interdit, debout, mais sans plus de jambes, derrière la fenêtre. La hache, levée à deux bras vers le ciel, s’abat d’un coup. Du sang jaillit, le chien verse. Se recroqueville. Les pattes de derrière gigotent plusieurs fois sur le talus – puis plus lentement, puis plus rien, sauf que le vieux ânonne quelque chose en riant à l’oreille de la mère qui, la corde dénouée, traîne derrière son dos le cadavre sur le tas de fumier.
Pierre Perrin, 2001