Pierre Perrin : La Franche-Comté — une évocation
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  • La Franche-Comté
    une évocation

    © Pierre Perrin

    La Franche-Comté requiert au premier chef la patience. Mais qui vit sur cette terre de passage, loin des métropoles, avec force ancêtres paysans, s’y trouve préparé. C’est tant mieux. Car la région offre, à travers son nom même, moins une terre facile à délimiter sur une carte qu’une sorte d’étoffe. L’approcher, déjà c’est l’emplir pas à pas. […]

    La région a dans son histoire quelque chose de la création d’Ève. Elle était de la Bourgogne en effet, (le pays des Burgondes du IVe siècle), une comté. Le genre féminin prévalait au Moyen-Âge ; le Larousse l’atteste. Cette comté est passée de main en main. Le duché, lui, a conservé l’appellation-mère de Bourgogne. En Comté cependant, de nombreuses villes surent alors gagner des franchises. La réunion de ces deux termes a donné son nom à la Franche-Comté. Nul ne peut dissiper davantage le flou de l’étymologie. Ce flou du reste perdure en orthographe. Car l’adjectif originel de la Franche-Comté se fait adverbe pour désigner une franc-comtoise. Que faire au pluriel ? Les historiens en pincent pour l’adverbe et se fâchent tout rouge contre le s central qu’appelle pourtant l’adjectif comme dans les francs-tireurs et autres francs-maçons. Trancher en la matière, malgré l’aval de Grevisse, c’est encourir tous les risques.

    L’appellation n’en remonte pas moins avec certitude au XIIIe siècle. La province, au nom pourtant presque abstrait, a roulé de seigneuries en défaites, d’abandons en reconquêtes. Elle fut d’Espagne et de France, successivement à deux reprises. Elle fut asservie parfois, toujours éprise de liberté, divisée jusque dans son culte, départementalisée, rapiécée, augmentée, fondue. La voici debout sur le seuil du troisième millénaire.

    Que faire quand le nom manque ainsi d’éclat, sinon créer son propre territoire ? C’est cela que font les Comtois depuis les plaines jusque dans la montagne. Ils donnent une épaisseur à leur terre moins typée, aux yeux des autres Français, que l’Alsace, la Suisse, la Champagne et la Bresse. En Champagne on trouve du champagne ! La Franche-Comté, c’est tout à la fois l’horlogerie, le Comté, le Vin jaune, Peugeot, le jouet, la pipe et encore la Transjurassienne. La modestie de la surface occupée (trois pour cent de l’Hexagone, dont près de la moitié hautement boisée) multiplie les points forts. C’est une main grand ouverte, au pouce jurassique bien tendu. Elle exhale les mille senteurs d’un bouquet.

    Pierre Perrin, Franche-Comté, 1999

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