Létat de notre langue
au détour de ce quon lit, entend, à droite,
à gauche, et qui na pas de fond
[suite et fin]
Dans le n° 284 de LHistoire, février 2004, sous la plume de Sophie Desormes, agrégée dhistoire, cette phrase à charge contre Marcel Aymé : « Autre victime quil emploie tout son talent à défendre : Céline. » Cest page 21, deuxième colonne, premier paragraphe. Passons outre la phrase sans principale. Voilà deux compléments dobjet direct (soulignés) de part et dautre de lunique verbe conjugué, pour ne pas dire à la queue leu leu. Quand même le premier, ainsi que me le fait remarquer André Canessa [ce 12 octobre 2006], est le cod au forceps antéposé de linfinitif défendre, qui nentend quune telle phrase singe, ou chimpanze au choix, loralité, bien mal à propos ?
Dans le n° spécial du Nouvel Observateur consacré à « la Pensée de Marx » [octobre/novembre 2003], on lit ce bandeau-titre : « Que les Staline, les Lénine ou les Trotski [bizarre, chronologie] se soient livrés la guerre entre eux [rebizarre, pléonasme] nait nullement contradictoire avec la valorisation marxiste de la violence, inévitable issue de la lutte des classes. » [Cette phrase cumule les niaiseries, jusque dans ce quelle veut exprimer. Car sil ny a pas de contradiction, le combat des chefs implique une survalorisation de la lutte totale. Lhistoire serait bien en peine de lattester.]
On lit dans Verrières, n° 8, une revue publiée par le centre régional du livre de Franche-Comté en juillet 2002, sous la direction de D. Bondu, cette phrase : « Le livre de J.-C. Dubos met en lumière les relations de Victor Hugo avec plusieurs comtois célèbres parmi lesquels Charles Nodier, Louis Pasteur, Jules Grevy, Charles Fourier qui tenta vainement de le rallier à sa vision du monde, mais aussi Proudhon quil côtoya comme député, ainsi que Max Buchon ou Gustave courbet qui le soutenèrent lors de son exil. » Que faisait la maquerelle, alors ! Cest page 137, sur des deniers publics.
Dans lessai dYves Bonnefoy, paru en 2002 au Mercure de France, Sous lhorizon du langage [lire larticle], on note que « tous les biens [ ] ne comblerait pas », page 63 ; on lit des néologismes tels que « désignatif », page 116, et un « échaffaudement », page 137. Mais sans doute cela nest-il que peccadilles à côté de cette phrase, page 59 : « Et sil [Shakespeare] pouvait parler, et penser, de cette façon, cest quil y a chez lui, plus spontanément et plus profondément que toute autre approche de la vie et de la personne, une extrême aptitude à percevoir le rapport de cette personne à soi et aux autres comme il existe à niveau plus intérieur que les déterminations par le milieu ou lhistoire, ou par les supposés caractères innés qui conditionneraient les échanges, en particulier quand ceux-ci mettent en rapport ou conflit les sexes. » Ou cette autre, page 224 : « Identifier cette composante dans Igitur en éclairera lintention et permettra peut-être de mieux comprendre la sorte de fiction qui y résiste à cette dernière. » Louvrage coûte 23 euros.
« Au musée Raccolte Fragone de Gênes, Le Réveil, une femme nue allongée, d’Eduardo Rubino, sera recouverte d’un drap à travers duquel il sera possible d’en explorer les formes. (N.D.L.R.) » Le Figaro, 4 avril 2001 [page Culture]. Lénormité dispense ici dun commentaire.
« J’aimais le mélange de furia et de dévotion avec lequel Clara récupérait sa part d’une vie commune qu’elle avait sans doute tout fait pour que Malraux s’en lassât. » François Nourrissier, À défaut de génie, Folio/Gallimard, page 247, 2001. L’éditeur ni les correcteurs, nul n'a bronché !
On objectera que les plus grands ont laissé des fautes que la patine du temps assimile à des grâces de style. Sans doute. Rousseau, par exemple, a bien écrit cette phrase : « Je me dis enfin : me laisserai-je éternellement ballotter par les sophismes des mieux-disants, dont je ne suis même pas sûr que les opinions qu’ils prêchent et qu’ils ont tant d’ardeur à faire adopter aux autres soient bien les leurs à eux-mêmes. » Mais ce nest pas lui qui la publiée. On la trouve dans la troisième promenade des Rêveries du promeneur solitaire. Cet ultime ouvrage, abandonné, repris, est non seulement posthume ; il reste à jamais inachevé.
[On ne propose plus de faute qui nourrirait cette rubrique, mais on peut donner son avis]