Pierre Perrin : la Maladie humaine [bref essai sur le Mal]
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  • Pierre Perrin : la Maladie humaine [suite, II]

    Pourtant, tapi partout, le mal attend tout homme qui n’est pas sur ses gardes. Le diable était bien croqué, qui fait rire aujourd’hui. Les mythes, et les religions qui les mettaient en résonance, ne sont plus que des épouvantails, dans les pays riches. Cela serait sans doute une conquête, si chacun n’incarnait dans le vide son propre dieu pour épuiser ses attributs et éprouver sa longévité. L’ambitieux veut tout connaître, tout expérimenter. Aux autres de plier, de s’effacer. Sous cet assaut, mieux vaut précéder le désir, encenser l’intrus. Le bénéfice ne se fait guère attendre. Un grand feu de brousse coud lèvre à lèvre les jours et les nuits. Bien ou mal partagée, la baise à outrance assouvit la concupiscence, jadis rôtie à souhait. La submerge la surdité. Tout fait fête aujourd’hui, qui abrutit ses adeptes. C’est le grand soir tous les matins. Et comme la séculaire modernité à la mode, hors de quoi chacun suffoque, a institutionnalisé la table rase, il n’est plus guère de savants sans œillères. La spécialisation par force achève de borner la méditation. L’ennui est que, faute d’assise, à la première chausse-trape, l’autorité verse dans la fosse commune des médias. À l’instar des chevaux de bois, tout tourne et la cacophonie couvre les moindres nouvelles. Plus de repères, encore moins de reprises. La démagocratie chauffe à blanc la soi-disant communication.

    La guerre “chirurgicale” couvre des dégâts “collatéraux” ; l’ordre cherche la “tolérance zéro”. Il n’est pas jusqu’où l’on forme l’esprit qui ne propose des “options obligatoires”, des “premières priorités” et autres insanités. L’oxymore créait une troisième dimension ; sa menue monnaie étaye la manipulation. Quant aux accusations, le silence les enterre. À l’explosion de trois missiles dans l’ambassade de Chine à Belgrade, en juin 1999, où s’était réfugiée la télévision serbe, on a d’abord allégué une erreur, puis des cartes truquées. La Chine on ne sait comment calmée, l’éclaircissement attend encore. À l’heure où le dernier État peut identifier qui fiente au faîte d’un noyer, pie ou corbeau, des peuples entiers restent abrutis de mépris. Ainsi, lors des vingt-deux contre l’Irak en 1991, les télévisions, la presse internationale ont rétréci, à la Hitler, les moustaches du dictateur à abattre. Pourtant le vaincu, dont on avait mis la tête à prix, resta en place. L’incohérence ne s’arrête pas là. Les justiciers ont outré leur mépris à nier cent mille morts civils à Baghdad, femmes, enfants, comme si devaient pourrir au soleil, ventre à l’air, des charognes.

    La paix n’est pas plus sûre. Un avion sud-coréen, après une escale à New-York, a violé le 31 août 1983 l’espace soviétique. Il s’est fait abattre, après sommation, avec ses 269 personnes à bord : aucun survivant. La réprobation été mondiale. Mais, six mois plus tard, on a appris que la violation avait été froidement programmée. La preuve du machiavélisme américain a pu être établie. Le pilote acheté par les États-Unis, sa résistance annihilée d’un « ils n’oseront jamais », les satellites U. S. avaient tranquillement, si j’ose dire, localisé les bases qui leur manquaient. Cet épisode à double détente ne confirme-t-il pas que n’importe qui se fait manipuler, comme on oublie qu’aux superpuissances les tiers et quart-monde opposent… leurs impuissances.

    Des sans-papiers empruntent des trains d’atterrissage, des camions frigorifiques pour l’Eldoradoccident qui s’en pince le nez. Ces cadavres occasionnels, la ruée fiduciaire les chasse comme des mouches. La fête – le bonheur à perpétuité – soulage les cols blancs à l’œil rivé sur leur poche qui cache une puce. Le temps n’est plus de la ruée vers la poussière, plus des scalps ni du sang, plus de ces nuits blanches à souffler sur des braises contre des babines retroussées. L’ordre bancaire, c’est la propreté sans frontières ! Non seulement le boursicotage tient le monde, mais cette dernière utopie-là, la fureur au fourreau, porte la pureté à son comble : elle digère proprement ses irréductibles. Où le communisme fanatisait des masses que les camps purgeaient à leur rythme, le capitalisme dompte chacun dans sa propre tête, sans cesser d’en faire un loup pour l’autre, mais aseptisé. Ainsi des salariés du premier constructeur automobile mondial qui avaient pris, avec leurs fonds de pension, la tête de leur entreprise se sont bientôt, rentabilité oblige, pour partie licenciés eux-mêmes…Lire la suite

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