Pierre Perrin : Franche Comté, une terre à sel
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  • Pierre Perrin Franche Comté
    Les Salines d’Arc-et-Senans

    Qu’une industrie décline, une autre la remplace. C’est aussi la loi des hommes. Les hommes cependant, de leur vivant, ne vont pas tous à la casse avant terme, en Comté moins qu’ailleurs. Tu as déjà toi-même changé de voie, si je t’ai bien entendu. Si nous trouvons une entente, celle-ci évoluera sans peine. La région n’a jamais manqué de sel. C’est une boutade, un bouquet dont on peut toutefois retrouver les racines. Suis-moi, s’il te plaît, car c’est ainsi que je verrais bien, à notre échelle, ce que nous devrions peut-être réaliser.

    Quand les romains s’enchantaient de nos salaisons, les Séquanes savaient de quoi il retournait — au sens propre, jusque dans leur tombe. Le thué est peut-être de leur invention. Le thermalisme cependant perdure aujourd’hui de Luxeuil à Lons-le-Saunier. Et surtout la région produit encore du sel, selon des procédés chimiques, à Tavaux. L’or blanc éclaire, ainsi qu’on peut le suivre à la trace, une part du destin de cette région.

    Les sires de Joux et de Salins étaient en effet parmi les plus riches seigneurs de la contrée. L’un tenait péage, l’autre offrait de quoi tenir. Salins a produit au Moyen Âge, après que de nombreux puits sur une ligne qui allait de Couthenans jusqu’à Montmorot eussent fermé, plus de sept mille tonnes de sel annuelles. À ce rythme, les forêts alentour ne suffisaient plus. Il fallait écumer toujours plus loin. Au XVIIIe siècle, il fut décidé d’acheminer la saumure à travers vingt kilomètres de canalisation à la conjonction d’un point de la Loue et d’une forêt inépuisable.

    L’architecte du roi s’occupait déjà de bâtir le théâtre de Besançon. Claude Nicolas Ledoux, né en 1736 n’avait pas quarante ans lorsqu’il présenta en 1774 son projet frappé au coin du génie. Ce n’était pas seulement une entreprise ordinaire qu’il élevait. À partir d’un demi-cercle, la maison du directeur s’avérait en tous points équidistante. La pensée et son exécution iraient ainsi presque du même pas, quand même l’étoffe resterait différente. L’utopie ne s’arrêtait pas là. Le second demi-cercle achèverait la ville. Chacun serait ainsi autonome et, dans cet anneau du travail et du plaisir enchâssés, libre. Le deuxième cercle ne vit pas le jour. L’entreprise périclita lentement. Au terme d’un siècle, elle rendit l’âme. On n’y chauffa plus la saumure qui avait présidé à l’édification royale.

    Le destin des hommes est sans appel. Celui de leurs œuvres parmi les plus belles parfois trouve un second souffle. Si un musée a soutenu l’âme des vieilles pierres, à Salins, à la saline royale on est allé plus loin. Celle-ci revit d’être inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. Elle ne se contente pas d’accueillir des touristes, fussent-ils couronnés comme le fut son père. Elle se prête à des écrivains, des chercheurs à l’œuvre. En avance sur son époque avant même sa conception, elle témoigne mais, dans le même temps, elle regarde encore devant elle. En cela, elle participe au mieux de l’esprit franc-comtois. L’utopie respire à son rythme. Le sel s’est fait pierre, et la pierre esprit.


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