Jacqueline Fischer a lu Le Goût de vivre de Pierre Perrin, Possibles Hors-série, 2025
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  • Jacqueline Fischer a lu Le Goût de vivre
    essai de Pierre Perrin, Possibles Hors-série, 2025

    couverture

    Présenté sous formes de chapitres traitant de sujets d’importance : la vie, l’amour, la religion, la politique, l’écologie, la poésie, la littérature, l’écriture, la lecture, le goût (ce n’est pas exhaustif), ce livre m’a semblé trouver un unité dans la lucidité sans complaisance et le désir aussi de transmettre une expérience de vie à de plus jeunes qui sont parfois « apostrophés » vigoureusement. « Si je déçois, jeune homme, jeune fille, jette mon livre ; un autre le ramassera ou pas. »
    On jugera peut-être l’auteur exagérément pessimiste, mais il restera difficile de le contredire sur les faits qui fondent ce regard, sans préjudice de la culture qui l’étaie, contrebalancés par un appétit de vivre; ce goût de vivre est un peu comme la séparation de Titus et Bérénice selon Tacite : invitus, invita (malgré lui, malgré elle). Et malgré elle, et pourtant grâce et à cause d’elle, la vie. Ou plutôt aimer la vie malgré la perversité humaine ? Mais sans alors s’en accommoder vraiment. Tout réside dans l’interrogation « Comment vivre ? » Pour moi s’y est ajouté un « comment lire sans que rien ne m’échappe ? » La solution sera d’y retourner souvent.
    Nous savons dès le départ combien l’expérience compte. Ainsi s’entrecroisent forcément celle de l’auteur et la nôtre propre à laquelle il est quasi impossible d’échapper : « Des langes au linceul, chacun ne pénètre que des bribes entre les trous noirs. Reste que l’expérience est notre unique trésor. » Ce texte qui procède souvent par questions suivies de réponse proposées invite aussi constamment à se référer à sa propre pensée. Le méandre aboutit toujours à une sorte de plage, de laquelle on repart pour un autre voyage – ou parcours.


    Pour moi, si j’en ai goûté la lecture (sinon je n’en écrirais pas !), cela produisait un effet non pas miroir mais de réaction : « Et moi que répondrais-je à ces questions ? Me les suis-je déjà posées ? » Ainsi c’est un livre qu’on pourrait dire interactif, pour user d’un jargon informatique à la mode.
    Si on revient sur les thèmes abordés, réagir à tous cependant me serait impossible : il y faudrait un autre livre en réponse et ce n’est pas le but de ce billet. La lectrice que je suis a du mal à synthétiser l’ensemble des réactions et pensées qui lui sont venues chemin faisant. Et un livre qui invite tant à s’y arrêter – pour moi presque à chaque phrase – ne peut qu’être singulier. J’ai aimé notamment un art de la formule qui n’est pas là pour faire mot d’auteur. De ces formules j’ai parfois souri : « L’homme parle pour coucher, la femme couche pour parler. » J’en ai coché beaucoup qui font écho et qui m’évoquent par leur fermeté d’écriture les moralistes du Grand Siècle, qui sont cités, La Bruyère, La Rochefoucauld, peut-être encore davantage pour le côté lucidité impitoyable des constats sur la nature humaine et la concision en acier trempé des « sentences ».
    Quand on arrive aux thèmes évoqués, il m’est difficile de commenter tant je me sens en accord profond et d’expérience. Cela tient sans doute à un socle de culture commune, nous avons fait nos humanités à la même époque. Les auteurs cités, surtout ceux du passé, sont mes familiers : Homère, Sophocle, Pascal, Montaigne, La Bruyère, La Fontaine. J’en passe et non des moindres. Alors je m’en tiendrai à ce qui sans doute m’a le plus porté à nuancer sur cette « Maladie humaine » et l’implacable présence du mal en tout homme. Le chercher en soi, pour le combattre reste le plus difficile. il faut déjà admettre que nous en ayons. Et définir ce que serait cette maladie. On en voit les effets mais le diagnostic reste difficile à établir et varie selon les patients.
    S’il est difficile de nier les horreurs commises qui vont du massacre d’animaux à celui d’enfants, les exemples historiques ou littéraires abondent. L’auteur cite plusieurs fois l’attitude de Victor Hugo envers son frère Eugène. L’ambition, l’appétit de pouvoir, de célébrité, ou de profit amènent les mesquineries les trahisons les exactions voire les crimes.
    Il faudrait mettre en question aussi la mémoire humaine et la transmission qui ne retient que le pire et le meilleur laissant tout le reste de l’humanité sous l’étiquette de médiocres, bons à oublier. Certes les catastrophes et les salauds son moins rares que les optimistes ne les prétendent, mais on ne parle absolument jamais dans le cours d’une histoire qui focalise sur les extrêmes de tous ceux qui, sans être des héros, ont accompli tant bien que mal leur vie de façon à peu près droite et sans ambition autre peut-être que de rendre l’existence plus vivable à leurs proches faute de pouvoir changer quoi que ce soit à l’ordre du monde. Ainsi je ne suis pas certaine que, même si tout le monde porte sa part d’ombre comme ce livre si riche nous le rappelle, ce qu’on nome « vie » échappe par bien des aspects à nos analyses.
    Peu de héros certes mais beaucoup de braves gens. Combien par rapport aux salauds je ne sais, mais infiniment plus nombreux dans leur anonymat que ceux que la transmission retient dans la mémoire collective. Et certes des braves gens pas au sens de ceux qui signaient « un bon Français » en dénonçant les autres. Non, je sais qu’il existe des gens de bien et vraiment modestes parce que j’en ai rencontré. Je sais dans mon entourage deux personnes qui ont risqué leur vie pour sauver quelqu’un et sont entrées chez elles, refusant qu’on en parle. Je ne dois pas être la seule. J’ai trop rencontré de personnes qui même si tout comme moi, ne sont pas exemptes de ce mal universel qui nous accable, ont vécu une vie telle que je n’arrive pas à désespérer de l’espèce humaine.
    On peut même se dire que les cimetières en sont pleins plus que les dictionnaires et encyclopédies. Pour moi qui ai toujours pensé, étant petite à tous les sens du terme, à ces obscurs, ces sans-grade de la vie, je me dis que même si étant humains ils ont sans doute accompli quelque chose de répréhensible, eu de mauvaises pensées, beaucoup ont mené leur vie au mieux, selon leur humaine nature. C’est que je m’intéresse plus au microcosme qu’au macrocosme, lequel tel que l’histoire humaine nous le transmet est désespérant et m’échappe.
    Le temps et mes capacités de chroniqueuse occasionnelle me manquent pour analyser davantage (je dirai paresseusement : je sais que d’autres le feront) notamment côté écriture et littérature, mais on le sait je préfère en écrire (bien ou mal) qu’étudier et théoriser sur ces sujets. Je dirai juste que je partage le plus souvent sur ce sujet les vues de l’auteur : sur ce qu’il nomme exactitude – qui m’est chère – et adéquation du fond et de la forme. Et la constatation que le style que Yourcenar qualifiait de « salopé » (il faudrait écrire comme on parle pour faire naturel, spontané, accessible authentique) est très à la mode. Si la pensée derrière les mots n’est pas ferme, tout devient alors flou et déliquescent. Faussé comme un mauvais outil. Et je le suis encore davantage, quand Perrin pourfend le snobisme des milieux autorisés, médiatisés.
    Enfin, si l’auteur nous dit : « un livre sans lecteur n’existe pas », alors souhaitons que cet ouvrage-ci en ait beaucoup. Il y a à coup sûr de quoi se questionner pour un long moment.

    Jacqueline Fischer, courriel, 28 avril 2025

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