Le sonnet, l’alexandrin, dans Finis litteræ de Pierre Perrin
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  • N’ayez pas peur, à propos de Finis litteræ
    Hors-série de Possibles, par Pierre Perrin

    couverture

    Le respect d’une forme est une garantie de sérieux.

    Apparu au douzième siècle, magnifié par Pétrarque au quatorzième, officialisé en France au seizième, le sonnet offre une forme fixe constituée de deux quatrains suivis de deux tercets. Il ne doit pas faire peur. Il faut seulement tout dire en quatorze vers, un drame comme une bénédiction, une adoration comme une élégie, une incantation comme une satire. Le vers libre aurait pu le reléguer au magasin des obsolescences, mais non. Claudel et Valéry en écrivent ; Supervielle en offre une admirable suite dans Oublieuse mémoire, 1949 ; Roland Dubillard le sert avec Je dirai que je suis tombé, 1966 ; Bosquet le reprend pour sa fin de siècle, 1980 ; Annie Salager en dédie une suite à Chédid ; Jean Pérol lui revient. Guy Goffette a tressé ses plus belles pages dans cette forme. Il n’est pas le seul.


    Quant à l’alexandrin, c’est un vers de forme et non une forme de vers. Il comprend douze syllabes qui roulent selon le rythme qu’il contient. La voix marque une pause à la fin de chaque vers, mais prend en compte les rejets, les contre-rejets, les incises éventuelles, le sens surtout. Si pour le classique 3/3//3/3 [« Un oubli / un départ // le cœur fault. / Qui prier ? »], une légère suspension à l’hémistiche est bienvenue, le ternaire 4/4/4 [« Il la célèbre / Elle offre, en soi, /la plénitude. »] paraît plus rond. Force combinaisons existent, dont le chiasme rythmique 2/4/4/2 [« La rue, assourdissante, autour de moi, hurlait. »] J’ai osé le 5/2/5, que je crois inouï : [« Que monologuaient, alors, les fours crématoires ? »]. Dans tous les cas, l’e qu’on dit muet à l’oral, s’il est suivi d’une consonne à l’intérieur du vers, doit être proféré, sauf si une apostrophe indique son élision. Je joue des diérèses et synérèses (Fouette ou tué peuvent se dire d’une seule émission de voix, ou de deux selon les besoins). J’oublie, si nécessaire, que le h devrait être aspiré. Bref, le lecteur doit construire la diction dans sa lecture. C’est ce travail qui impressionne, cette collaboration nécessaire que certains répudient, à tort. La prosodie se devine et s’apprend. Sans forcément élucider pour soi les notions de protase [partie ascendante de la phrase], acmé, puis apodose [partie descendante], des traités ne manquent pas. Meschonnic a produit cinq volumes, depuis Pour la poétique, Gallimard, 1970, qui éclairent comment lire un poème ; car dire et lire ne font qu’un, même muettement. À tenir aussi, pour s’affranchir des lieux communs, sa Critique de la poésie, Verdier, 2001. Arpenter encore Réda, Quel avenir pour la cavalerie ? une histoire naturelle du vers français, essai, Buchet/Chastel, 2019, ne fera de mal à personne. L’alexandrin reste un outil indépassable. Le tout est de bien le tenir en bouche. Existe-t-il une gageure plus plaisante ?

    Yves Marchand, la lecture d’un pamphlétaire [6 juin 2024] —>

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