Retour de lecture de Finis litteræ de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Finis litteræ, encres de Christine Lorent
    Hors-série de Possibles

    couverture

    L’air de rien, Pierre Perrin dit beaucoup. Et le dit bien. Avec quelques formules à l’emporte-pièce, comme celle-ci lorsque, désespéré, il nous dit si joliment « Notre époque fait le poirier » et qu’il conclut sans illusion : « Ils me jugeaient légers et je les trouvais lourds ». Au terme de 1568 vers sans rimes, en cent douze sonnets modernes qui ne conservent du passé que la forme des deux quatrains suivis de deux tercets et le rythme de l’alexandrin « disloqué » comme le voulait son grand maître, il se livre tout entier, sans fard. Un moment précieux de confidences au cours desquelles le poète domine tandis que le regard affuté de l’observateur s’aiguise, que l’amoureux exulte et que le philosophe s’interroge.


    Pierre Perrin est un poète lucide. Ni éthéré, ni maudit, il voit le monde comme il est, et le raconte dans sa complexité en nous le présentant sous toutes ses faces, en un seul plan. Il crée ainsi un espace scénique original où le lecteur devient le centre d’un univers dont il perçoit en même temps toutes les dimensions. Ce qui est bien réel semble alors irréel et devient poésie.
    Pierre Perrin ne se paie pas de mots. Les mots ne sont pas pour lui des étendards qui flotteraient au vent pour être admirés pour eux-mêmes. Ils sont les outils les mieux adaptés à sa pensée la plus élaborée et le véhicule de ses sentiments les plus intimes. Poète d’abord, sans doute, mais didactique aussi.
    En parcourant les quatre parties de l’ouvrage le lecteur prend le temps de s’émouvoir, de sourire, de réfléchir, de dénoncer et puis, de se laisser aller à rêver. Les six « entretiens » qui ponctuent l’œuvre nous contraignent à la réalité : « Je ris, j’écris, je tends le monde entre mes mains », nous conduisent aux affres du poète : « Pourquoi la poésie fait-elle fuir, ennuie ? / Le lecteur craint souvent sa propre insuffisance » ; à ses choix littéraires : « La poésie, c’est la parole en ricochet » ; à ses questions : « Vivre est une roulette à un seul coup perdu ». Pas d’entretien pour l’âme. On s’entretient avec son lecteur, pas avec son âme qui demeure : « Ainsi l’âme est amour ». Puis, « Monologuer d’une voix d’encre est sans recours ».
    Au fil d’une promenade sans cesse renouvelée, la lecture aisée de l’ouvrage lui suggère autant de sentiments amoureux délicats et intenses : « Qui atteint la passion réciproque, établit le partage à son point de fusion », qu’elle fait éclater sa colère : « Avec une épenthèse en forme de turlutte, / Lui bave – euh, euh. Le fat épand sa suffisance » ; le confirme dans ses convictions :
    « J’écris les lâchetés, les questions et les leurres.
    Je rappelle au lecteur que chacun vaut les autres.
    Je tends la main, aveugle, et lève l’avenir » ;
    ou le plonge dans les tourments de l’âme : « L’eau use le rocher, le chagrin lui résiste ».
    C’est d’abord à la pointe de l’épée qu’il atteint sa cible. Pas besoin « d’Envoi » pour toucher. Le sonnet n’en comporte pas. Perrin ne fait pas dans la ballade. Sur la liberté d’expression : « On voit le tête-à-queue des dons et des valeurs ». Sur la vie : « Quand un père a manqué, le passé se dérobe, / Quand un fils disparaît, l’avenir ouvre un gouffre ». Sur la société : « La propagande étreint, écrase la morale ». Lorsque, las de combattre, il s’en retourne sur lui-même, non sans avoir goûté dans l’amour, le repos, ou plutôt un autre combat, la survivance des êtres dans l’amour : « Hors de nos affections, je me préfère seul. / L’ennui m’est inconnu. Je débats en moi-même ».
    Et c’est bien lorsqu’il débat en lui-même que Pierre Perrin nous offre le meilleur. Sa poésie que nul ne chercherait à débattre tant elle nous donne à penser, à aimer et à partager est un don de son âme, le don d’une solitude à une solitude. Acceptons-le tel quel, brut, entier, sans réserve.

    Yves Marchand, [6 juin 2024]

    Article de Daniel Guénette [17 juin 2024]

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