Pierre Perrin, Finis litteræ
Hors-série de Possibles lu par Christian Ghiotti

Si la poésie est souvent un refuge pour qui cultive les demi-teintes ou un certain hermétisme, Pierre Perrin a écrit Finis Litteræ au contraire dans une confrontation directe au monde et à son époque.
Ce recueil est composé de 112 poèmes de quatorze alexandrins, regroupés en deux quatrains et deux tercets. 112 sonnets, me direz-vous, mais la rime est abandonnée, et Armel Louis, lexicographe-éditeur et poète, m’a soufflé qu’il s’agit donc de quatorzains. De la poésie au carrefour de la tradition et de la modernité, avec ici une thématique et des questionnements qui s’ancrent dans le monde contemporain.
Cette poésie est d’une certaine façon une machine de guerre. Une machine rigoureuse basée sur une forme qui génère une allure qui nous entraîne tout au long du recueil par la superbe régularité de son rythme. Ainsi ce chant fait que, lisant Finis litteræ, « la tête tourne à l’amble » comme le dit l’auteur dans son poème La Paix au large (partie 2, Le lit d’amour). À l’amble, c’est tout à fait cela : cette marche d’allure rapide des chevaux. Pas « au trop », cette allure, oh non, ce n’est pas la fougue adolescente, c’est la marche d’un pas rapide, mais tranquille et assuré de l’homme mûr. L’amble est le rythme donné par la structure même du recueil. Il avance avec l’assurance d’un homme de terroir qui ne s’en laisse pas compter par les modes.
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Je sens Pierre Perrin inquiet. Il s’inscrit dans le sillage d’une poésie descriptive, narrative et de combat – au sens où il désigne ses adversaires. Un peu dans la lignée des poètes de la Renaissance, époque traversée par des guerres de religion, je pense à Agrippa d’Aubigné ou au Ronsard politique des Discours. Grand projet ! Mais la forme du sonnet libre qu’il adopte exige une certaine concision et sa poésie est plus ramassée que les odes ou les discours de ces anciens auteurs : alors ses alexandrins sonnent souvent comme des coups de boutoir. Quel sens de la formule ! Quelle densité dans le recueil !
Perrin plonge dans le monde, ses difficultés, ses contradictions. Terrien, il sait d’où il vient et où il va, ce qui se perd aujourd’hui, reconnaissons-le. Il apporte des éléments autobiographiques douloureux (dans le dernier poème, un souvenir d’enfance traumatisant, une mère peu aimante et assassine du chien adoré). En plein cœur de l’époque, il ne se fait pas que des amis, son stoïcisme se heurte à l’horreur de la mièvrerie totalitaire contemporaine, je veux parler du wokisme et de la théorie du genre, par exemple. Pour lui, il est clair que le monde marche la tête en bas (partie 1, L’époque fait le poirier) et il célèbre très charnellement l’amour physique hétérosexuel dans La Prière (partie 2, Le Dit d’amour) ce qui n’est plus vraiment dans l’air du temps. Il interroge la période covid (« contre un virus on doit fermer le territoire » dans le sonnet Vrai ou faux), la politique internationale (Gaza, l’Ukraine) et peut prendre des positions ; son livre ne tourne cependant jamais à la propagande, il est dans le questionnement. Comme il l’écrit : « Un esprit attentif doit cultiver le doute. »
Il interroge la morale, l’esthétique, règle ses comptes avec un certain art contemporain, ces « intérêts esthétiques de l’histoire » comme l’écrivait le phénoménologue Henri Maldiney, la valeur et le fric, la morale. Perrin fait feu de tout bois de ce qui se trame dans le spectaculaire de cette société.
Classicisme dans la forme, nous l’avons dit, et classicisme poétique dans le vocabulaire : ainsi il emprunte à Rimbaud son néologisme « bombinent » pour brocarder notre époque (dans Genèse de l’anti-culture, partie 3), il dit, là encore, ce qu’il n’aime pas :
« Ce qu’avaient entamé Robbe-Grillet et Barthes
Les collège et lycée l’ont porté au pinacle.
Platitude au sommet, vulgarité bombinent. »
Il peut, a contrario, rendre hommage à des poètes récemment disparus (Frédéric Tison et Jean-François Mathé).
Pas d’esbrouffe dans ce recueil, mais de la morale, car c’est bien un moraliste qui parle ici. Et un moraliste ne fait pas de moraline : il évite les poncifs tout en restant très cinglant. Il questionne à partir d’un solide bon sens paysan. Il y a du stoïcisme chez lui, sans aucun doute. Un grand style, c’est dit. Pour illustrer mes dires, j’aime grapiller, je vous livre des dernières pépites, mais il faudrait tout citer, alors ici encore quelques alexandrins qui sonnent comme autant de sentences souvent tragiques :
« Quand un père a manqué, le passé se dérobe.
Quand un fils disparaît l’avenir ouvre un gouffre. »
« L’hypocrisie reste le pire engrais de l’homme. »
« La fabrique à gloriole a saturé les ondes. »
« Recommencer ? le blé ne germe qu’une fois. »
Un grand livre. Que vous en semble ?
Christian Ghiotti, Le Livre des visages, 12 septembre 2024