Pierre Perrin, Finis litteræ
Hors-série de Possibles lu par Jeanne Orient [texte et vidéo]

« Rouge-gorge, mon frère, après toi, les poèmes / Que j’ai nourris à la becquée, je finirai / Broyé vif, sans savoir le destin de mon âme. » Finis Litterae, recueil de cent-douze sonnets, c’est surtout un journal des jours convulsifs, violents, habités de faussaires, de rêveurs, de déchus. Pourtant Pierre Perrin met, dans ces sonnets, des fragments de sa propre vie. Le rythme est celui de son souffle, rauque, âpre et parfois tendre si tendre quand il parle d’amour. Le sonnet lui permet de garder la main. De barrer à sa convenance. L’horizon, il le scande selon la réalité. Les guerres, la petitesse de vue, les faux amis, la gangrène d’une culture au rabais… Ce recueil contient l’histoire de sa propre histoire. Pierre Perrin « sonne » à la détresse, au désarroi, au scalpel. Et le sonnet s’emballe dans un tourbillon d’émotion. Et nous ne respirons plus. Nous lisons à haute voix comme pour exorciser ce qui est dit, ce qui s’entend. Croiser quelqu’un : « Quand un père a manqué, le passé se dérobe. / Quand un fils disparaît, l’avenir ouvre un gouffre. / Qui pourrait redresser deux arbres abattus ? »
Il y a aussi des rais de lumière, ce souffle d’amour, de sensualité, de joie. Le sonnet devient joyeux, rieur, lumineux. Il porte des prénoms de femmes, de saisons, de draps défaits, d’aurores éternelles. Et de nouveau ces barbelés. Pierre Perrin en les nommant, nomme tous ceux qui lui ont interdit le grand large : « Le pied posé, le rêve éclatait en morceaux. » Pierre Perrin s’insurge surtout contre ceux qui ont font de la poésie une fonction. La poésie dit-il, c’est une grâce. « La poésie restitue l’âme au cœur des morts. » Devant le temps, l’ogre sans pitié aucune, qui nous mangera tous, Pierre Perrin s’active comme un voyageur. Il prépare le bivouac et la nuit est une couverture d’étoiles, de lune, de feu, d’encre… cette encre qui ne l’a jamais quitté. « Monologuer d’une voix d’encre est sans recours. » Et paraît l’aimée, la compagne de route. Celle qui offre cinq encres magnifiques, érigées en rempart contre tout ce qui peut blesser, attrister. « Seul ce qui nous emporte arrête notre course. / Je dors entre tes bras, au ciseau de tes jambes. / Tu t’endors dans ma peau ; tes lèvres me réveillent. » Christine Lorent colorie le souvenir, elle colorie l’enfance sans jamais rien renier de la vérité. Elle permet des oasis où Pierre peut s’arrêter pour souffler un peu. Pour boire l’amour à la source et repartir plus léger, moins endolori.
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Ces sonnets, je les ai lus comme un journal, comme une mise au point, un point d’étape. Comme des confidences sur ce qui a été et ce qui a moins été. Il y a bien sûr des sujets d’actualité consignés comme un journal de bord. Comme une chronique de l’époque, de ses convulsions, de sa violence, de ses joies parfois. « La guerre tient la porte où les autres se meurent. » Des portraits passent, d’une grande poésie, et l’on croit reconnaître : est-ce elle ou pas ? « La cinquantaine en crue, et le soleil décroît ; / La mère de deux fées, l’épouse sans zigzags / A croisé un poète – il aimait les garçons. / Ce fut pour elle un incendie dans la maison. […] Il a expiré, sans secours, sur un lit. Elle, / La peau vide, un cerf-volant entre ses mains, / Veille sa tombe et sa mémoire – sa survie. »
Mais c’est surtout l’histoire de Pierre Perrin qui fait de chaque sonnet une dramaturgie, une scène unique, même si les personnages changent parfois. Pierre Perrin semble s’être calmé et soudain comme un boomerang : « Tant de sanglots ont, par la vie, cassé ma voix. / Gonflée d’attente, elle attisait le non-amour. / Job-enfant d’une terre inconnue à mes yeux […] Ce manque a refréné mes ambitions. Je n’ai / Acquis de l’insolence ni les flèches, ni / L’arc qui seul en impose. Où donc grêlent les tirs ? » Certes, Il y a ce rouge gorge qui chante de temps en temps, mais il y a surtout ce chien compagnon qu’il a vu mourir et qui ne l’a jamais quitté. Le recueil se termine sur l’évocation capitale, connue par de précédents ouvrages : « J’avais élu un chien, si jeune, affectueux. […] J’ai dix ans, quand ma mère arrache le trésor, / Le fait tuer devant moi. Tout ce sang innocent / Fume encore et mon cœur n’a pas coagulé. »
On dit qu’un sonnet devrait enfermer une pensée qui se prépare dans les onze premiers vers et se manifeste dans les trois derniers en quelque chose de frappant. Je ne suis pas qualifiée pour parler du sonnet, de sa structure, mais je dis ce qui m’a émue, ce qui m’a frappée. Finis Litterae, renferme et délivre la vie de Pierre Perrin, son enfance, ses rêves, son épuisement, son amertume, sa tendresse et sa lucidité : « Un écrivain n’a rien à sauver, mais tout à écrire. / Il tend la main nue et lève, à sa mesure l’avenir. » Finis Litterae, ou la fin de la lettre ?
Jeanne Orient, 14 juillet 2024, Un jour, une histoire
© photos pour la vidéo : Jeanne Orient (Fil de MémoireS) ;
© musique : Francisco Torrega, à la guitare Alain Hoareau.