Pascal Adam et Aline Angoustures ont lu Finis litteræ de Pierre Perrin
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  • Pierre Perrin, Finis litteræ
    Hors-série de Possibles lu par Pascal Adam et Aline Angoustures

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    Cher Pierre,
    je viens de lire Finis litteræ. J’ai dit sur Facebook, en un alexandrin rapide : Le poète Perrin et son vers d’âpre prose. Ces mots d’âpre prose m’étaient venus déjà à ma lecture de Des jours de pleine terre (quel titre, au passage ! J’ai d’ailleurs été, pardonne-moi, plutôt pingre en retour sur ce volume-là ; et pourtant, après avoir tourné autour un peu, picorant çà ou là, je l’avais lu d’une traite ; puis, à la faveur de ton envoi dédicacé, l’avais relu. L’ensemble, les deux fois, produit un effet puissant. La force de vie est manifeste. Quelques désaccords de fond, personnels, çà et là également, je dirais même : heureusement ! mais ils n’entachent rien : le dit est là, puissant, assumé, ouvert, et il ne s’agit pas de se mettre d’accord, l’écriture ni la lecture ne visent à établir une motion de synthèse !)
    Je reviens à Finis litteræ et pour commencer, tant qu’à faire ! par un désaccord, je dis que seul le mot sonnet me gêne. Je ne sais en effet, si l’on peut ôter à une forme si accomplie une de ces caractéristiques principales [la rime] et conserver son nom. J’imagine bien que tu me contrediras. Mais ce point est finalement secondaire (pour moi). Quoique... je reviendrai peut-être plus loin sur un détail formel (ou pas).
    Accord ou désaccord, j’aime tout ce dont tu parles et trouve important qu’un poète s’y colle. On en a soupé, des étherements de vides garçons, des mièvreries de ragnagnas, des nombrilades psychopathologisantes, des formalisationnementements à la mords-moi le chose. Ce que j’aime, c’est que c’est situé. Comme un roman est situé, il est dans la Provence de Giono ou dans le comté dont j’oublie le nom de Faulkner, à telle époque. Chez toi, tout est situé. Ancré. J’aime la variation des registres, de l’intime au politique. C’est net. Il y a, bien sûr, dans la basse-cour, des gens que je reconnais, que je pourrais nommer, d’autres sur l’identité desquels j’ai un doute, certains dont je me dis : mais de qui diantre parle-t-il ? Et peu importe : le poème fonctionne. Il joue. Ça marche.
    Il y a ensuite, évidemment, des poèmes que j’aime plus et d’autres que j’aime moins. Comment en serait-il autrement ? Et dans les poèmes, des vers : « Tu es venue, tu m’as levé d’entre des boues. » Ce n’est pas rien, de se figurer dire ça, parler ça. (Je ne lis pas un poème sans me demander comme il se dit.) Je me sens proche parfois, beaucoup, de ta veine polémiste ou critique et donc, je l’aime moins, ce qui ne veut pas dire que je rechigne à rire parfois à tel portrait cruel ! Tes poèmes d’amour ou de chair, ici comme dans Des jours de pleine terre, dont je serais incapable même de l’ébauche d’un mot, me touchent et remuent. Je trouve que ta pleine et grande puissance est là. Jusque parfois dans Finis litteræ, un trouble affreux dans le premier quatrain d’Un amour de lumière, quand au vers 3 vient le mot mère. Le dernier vers de ce poème, « Qui gouverne la vie sinon, partout, la mort ? » est un vers (prends-le mal ou bien) que j’aurais pu faire, et peut-être l’ai-je fait (je ne sais, j’oublie tout). L’idée n’est pas si neuve, on dira, ce qui est faux : si elle est vraie, elle est neuve.
    Je mets le doigt sur le mot vrai. Et il me semble que tout poème de toi marche à la vérité (au sens sans doute du carburant non moins que d’une marche vers, but à atteindre, et qu’on frôlera peut-être) et se tempère de bonté. La vérité tuerait. Le poème est un véhicule peut-être et il lui faut un frein. C’est bien maladroit, tout ça. Je reviens, dans ce pêle-mêle de courrier, à une idée que j’aime et que j’avais trouvé dans la préface de T.S. Eliot à l’anthologie qu’il a donnée des poèmes de Kipling. Eliot dit que les écrivains en général se consacrent essentiellement au vers ou essentiellement à la prose et qu’ils excellent rarement dans les deux ; or il note à propos de Kipling, que ses vers et ses proses sont inséparables. Eh bien, cela m’est revenu en mémoire à ton propos au moment de ma lecture de Des jours de pleine terre et ces derniers jours aussi. 
    « La vie culmine au sexe, au partage absolu. » C’est un vers. C’est âpre comme la prose. J’aime tes brièvetés. J’aime moins la phrase longue et dont les parties enjambent plus, quoi que je trouve souvent sens à ces enjambements (j’aime beaucoup le premier tercet des Freux).
    « Je goûtais la lenteur, le silence et l’attente.
    Vivre à coups de boutoir, c’est s’enivrer. Le mâle
    Parle pour coucher. Elle couche pour parler. »
    Mais quelque chose en moi se dit peut-être qu’une fois la rime ôtée, il faut au vers, afin qu’il reste vers, qu’il soit épousé sinon de la phrase au moins de la proposition (sauf quand il faut rompre !). J’émets parfois de petites réserves, sinon tu vas penser que je te flatte et te dire que je suis malade. Cela dit, « L’Arriviste » est parfait. Les encres accompagnant ton livre sont très bien ; elles ont leur beauté propre, et leurs précipices, et étrangement, elles accompagnent vraiment. (En général, je ne cours pas après les bouquins illustrés, les trucs des poètes avec des textes qu’on ne comprend pas sont finalement illustrés, oui, illustrés, par des machins abstraits : c’est ton sur ton, pour ainsi dire. Les illustrations (mais autres, qui aident), j’en ai bon souvenir des éditions pour enfants, adolescents). J’aime particulièrement celle ouvrant au Dit d’amour et celle d’Approche de l’âme. J’arrête là, cher Pierre. Je te souhaite un très bon été. — Pascal Adam, courriel, 16 juillet 2024


    Je crois avoir d’abord été impressionnée par la beauté formelle du livre, des encres et monotypes de Christine, de ces 112 sonnets qui donnent à des réflexions multiples une unité et qui tiennent, dans l’élégance d’une forme ancienne, les constats directs et sincères sur notre monde, du monde qui va (ou ne va pas) au monde poétique. Cette forme paraît a priori plus adaptée aux superbes poèmes du « Dit d’amour » ou « Approche de l’âme » mais elle renforce aussi les épines de l’époque qui fait le poirier ou de la poésie et la basse-cour.
    Féroces, oui, tes sonnets sont féroces, et directs. C’est impressionnant parce que je ne crois pas avoir lu de tels écrits récemment. Une poésie de combat, qui mêle, je l’ai lu sous la plume d’un autre mais je plussoie, la férocité et la tendresse :  « La bonté, mon péché, tue la férocité ». Peut-être – c’est ce que je ressens en ce moment avec l’actualité – une forme de renoncement devant le flot continu et inarrêtable (du moins le craint-on) de ce qui nous navre ? De renoncement et d’amour du monde malgré tout (petit écho avec le vers « Qui peut se protéger d’une marée montante » ? Je cite encore un des vers que j’ai soulignés, qui frappe si juste : « Les droits tuent les devoirs. Il faut tout obtenir ». Parfois il faudrait citer tout le sonnet, « Les valeureux », « Couvre-feu », « De profundis » ou le très fort « Gaza », sur un sujet ô combien incendiaire…
    Dans la partie « Poésie et basse-cour », avec une référence évidente à La Fontaine, j’avoue avoir souvent cherché qui était là, entre les lignes. Quelques vers soulignés encore : « La poésie, c’est la parole en ricochets », « J’aime la confidence, un ton de confiance » (je suis très sensible à celui-ci, pour ce qu’il dit), « L’émotion ne vaut pas le meilleur de la vie ? Le pathos est moqué, le mièvre plus encore. Quel chemin proposer ? Un poème aide à voir », « Je maintiens la rature un ressort nécessaire » (je tiens absolument à cette virgule ?), « Il neige est interdit. La simplicité tue ». Et, dans cette cruelle évocation de la Place Saint Sulpice, le très beau « Chacun se croit l’unique élu des mots, des livres / Le prétexte loué, la poésie violée… / À rire, une amitié naît entre deux allées. » On se sent un peu partout dans ces portraits, nous y sommes un peu tous je crois. Et je souris d’un air coupable à te voir pourfendre Bukowski et Brautigan, car tout près se trouve un écrivain que j’aime tant, John Fante. C’est, je crois, l’une des richesses de ces sonnets que de nous tendre un miroir à tous. Et cela fait du bien, finalement.
    Je garde pour la fin mon admiration pour les sonnets de « Approche de l’âme » : « Nos maîtres », « La cousine » (si déchirant), « L’âme au cœur », « Petit matin », « Enterrement » (ah, ce « Le linceul et l’effroi se recouvrent l’un l’autre »), « Repose en paix » et « Renaître ». « Le Dit d’amour », que j’adore d’autant plus que je sais, pour l’avoir tenté, que rien n’est plus difficile, et ici plus incroyablement fort, que d’écrire sur l’amour. « La vie culmine au sexe, au partage absolu », lit-on dans « Approche de l’âme ». Dans ce « Dit d’amour », il y a, tout aussi beaux les uns que les autres, des textes critiques encore une fois, des textes érotiques (« en diable » ai-je noté au-dessus de « La prière »), ou d’une tendresse et sensualité magnifique, « Lumière d’hiver », « Amour au clair » ( « Qui sait répondre à ce qu’il aime chez autrui ? », « Se joindre, se conjoindre. / La passion s’impatiente à hisser le bonheur », « Or, qui se tient dernier, l’autre le fait premier. / En réciprocité, l’amour est sans limites. / Il rassasie la faim de vivre en plénitude »), « Aimer » (« Le don de soi grandit la lumière en partage »), « Passion ou tendres jours », « Deuxième entretien », « Couple au clair » (« Nous resterons ensemble – en cendres sous le ciel »), « La paix au large », « Vers la plénitude », « La chambre » (« Qui l’accepte reçoit l’averse de la joie » et « Le repos absolu de qui s’est tout donné »), « Nerval » (« La vie conduit à prendre où il faudrait se perdre ») et le sublime « Volage ».
    Ce qui m’impressionne enfin dans tout le recueil, c’est cette clarté qui nous rend accessible le sens des sonnets et les fulgurances des images. Un grand merci à toi pour ces sonnets de roses et d’épines… — Aline Angoustures, courriel, 14 juillet 2024.

    Pascal Adam est l’auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre, sérieuses ou non, qui ont été représentées, dans la province française ou au Bénin. Il est également metteur en scène ; et critique, tenant chaque quinzaine, de 2018 à 2022, pour le webmagazine Profession-Spectacle, une chronique intitulée méchamment « Restez chez vous ». Il enseigne le théâtre au Conservatoire de Reims depuis 2012. Il a publié Lettre à l’Intendant du Domaine, Réalgar, 2020. Il habite loin du monde, dans un village des Ardennes.

    Aline Angoustures vient de faire paraître Le Divan double, écrit avec Philippe Moron, aux éditions Unicité.


    Lecture par Pierrick de Chermont

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