Denis Billamboz a lu Finis litteræ de Pierre Perrin
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  • Denis Billamboz a lu Finis litteræ
    Hors-série de Possibles, 2024, 16

    couverture

    Sur la quatrième de couverture de ce recueil, Perrin précise qu’il considère le titre de ce livre comme une pointe ultime de la littérature sous la forme du sonnet ; moi, j’ai eu aussi l’impression que les cent-douze sonnets, qui le composent, forment comme une forme de testament littéraire prématuré, comme un bilan littéraire avant l’heure de conclure son œuvre. « Un sonnet soliloque et, si le sot l’y laisse, / C’est qu’anar et réac ses œillères l’aveuglent, / Je ris, j’écris, je tends le monde entre mes mains. »
    Dans ces sonnets testament, Perrin évoque l’enfant qu’il fut sur le plateau qui a vu naître Gustave Courbet à qui il a consacré un livre. « À convoquer la voix de l’enfant que je fus, / Je ne saurais l’apprivoiser à mon oreille. » Il dénonce la faiblesse de l’être humain qui pourtant se croit fort : « L’homme de terre tourbillonne. Il accompagne / Qui le porte. Il n’est pas un arbre qui résiste. / À peine connaît-il les feuilles, les saisons. » Il déplore aussi l’écologie, quand elle ne sert plus la nature mais seulement ceux qui veulent en faire une doctrine politique. L’écologiste « Frondeuse, intelligente, admirée de son père, / La rigueur l’horrifie. La liberté l’enferme. / Seul le vent lui convient, tout le reste à la casse. » Et, bien sûr, tous les grands conflits actuels qui n’arrivent pas à s’éteindre malgré toute la violence déployée. « Le cercle des amis se referme à bas bruit. / Il est rare qu’un mort, âgé surtout, dérange. »


    Plus généralement ce texte évoque la nostalgie de la nature préservée, la sagesse campagnarde oubliée. Il déplore les guerres imbéciles, les dérives religieuses, l’impérialisme économique, le nationalisme exacerbé, le « voquisme » idéologisé, la sexualité dévoyée, l’amour bafoué, toutes les dérives sociales et sociétales nées au XXIe siècle. « L’homme est ignoble, à mépriser, assassiner. / Le mal qui le malmène, une angoisse aux aguets, / La panne exclut que le cœur s’ouvre à l’abandon. »
    Mais, pour moi, ce texte est avant tout un hommage à la langue française qui a conduit l’auteur à choisir la forme du sonnet. « Pourquoi choisir le haïku français ? » J’ai puisé dans son texte pour essayer de trouver quelques éléments de réponse. Notre époque a malmené la langue lui faisant dire ce qu’elle ne veut pas dire. « Les mots perdent leur sens, tel un humain son sang, / Notre époque, à moquer tout et tous, se fracasse. / Aimer devient un viol ; L’assassin, un martyr. […] Qui joue avec les mots croit penser, quand penser / C’est poser des questions. Lui, entend des réponses. » Perrin rend aussi hommage à de nombreux artistes qui ont honoré la langue française et à d’autres qui ont immortalisé son pays natal comme Gustave Courbet et à son goût pour les élans charnels (cf. les lettres à Mathilde retrouvées récemment aux Archives municipales de Besançon). « Toutes les cordes nues, son cœur attend l’archer. / Elle halète, elle brûle ; il l’embouque, il l’emporte. »
    Et si ce texte n’était pas tout d’abord un hommage à la langue française, la belle langue que nos grands auteurs nous ont léguée pour la faire vivre sans la dévoyer ni l’altérer ? Dans des vers ciselés par une ponctuation très précise, Perrin emploie un vocabulaire riche de mots anciens, de formules de styles, de jeux de mots, de jeux sur les sons et sur le rythme des vers libres de toute rime mais toujours justement balancés.
    Le sonnet impose sa forme et contraint l’auteur à un travail sur les mots, les expressions, les figures de styles, mais il conduit le lecteur vers la découverte ou la redécouverte des grands poètes qu’il n’a pas encore ou peu lus.

    Denis Billamboz, 17 avril 2025 [Lire son blogue]

    Article d’André Ughetto, [12 mars 2023]

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