Gustave Courbet et la colonne Vendôme [I]
La vérité sur cette affaire du 16 mai 1871, par Pierre Perrin
« Courbet est mort de la Commune. La Commune a tué le peintre et l’homme. » Ce trait d’Étienne Baudry se lit chez Bonniot, Gustave Courbet en Saintonge, Klincksieck, 1973 [page 129]. L’histoire courante l’ignore. Elle préfère incriminer le gouvernement de l’époque. Elle tient Courbet pour un martyr, une icône révolutionnaire. Suite à la démolition de la colonne Vendôme, le 16 mai 1871, le peintre condamné incarne un innocent persécuté. Proscrit, acculé à la déchéance, exilé à La Tour de Peilz [Suisse], il meurt le 31 décembre 1877, à 58 ans, ruiné. Les faits sont têtus, dit-on. Au moins retrouvent-ils une tête, quand on les exhume.
Une idée fixe chez Courbet : la colonne Vendôme
Le sujet de la destruction de la Colonne ne tombe pas du ciel. Proche de Courbet à ses débuts, Francis Wey consigne à la fin de sa vie : « plus de huit ans avant nos désastres de 1870 [il] prêchait déjà l’abolition des armées et le déboulonnement de la colonne Vendôme. » [Notre Maître-Peintre Gustave Courbet, éd. Rumeur des âges, 2007] Pourquoi l’ex-ami mentirait-il ? Courbet parlait sans arrêt. Grand gosier, il a été l’attraction de la brasserie Andler de 48 à 68. L’idylle a cessé devant un tribunal. Courbet dut régler 3000 F. d’arrièrés de boisson, une somme [Correspondance, Flammarion, 1996, p. 301].
Napoléon III fait prisonnier à Sedan, le Second Empire chute le 2 septembre 1870. La Troisième République est proclamée le 4. Courbet est élu le 6 président de la Commission des arts en charge de sauvegarder les œuvres d’art à Paris. En fait de sauvegarde, dès le 14, il propose aux membres du nouveau gouvernement de Défense nationale : Attendu que la colonne Vendôme est « un monument dénué de toute valeur artistique », le citoyen Courbet émet le vœu « que le gouvernement veuille bien l’autoriser à déboulonner cette colonne » [Corr. p. 342].
Il précise le 5 octobre 1870 : « Je ne demandais pas qu’on cassât la colonne Vendôme ; je voulais qu’on enlevât de votre rue dite rue de la Paix ce bloc de canons fondus qui perpétue la tradition de conquête, de pillage et de meurtre » [Corr. p. 345]. La raison antimilitariste, qui l’anime depuis que son grand-père lui a vanté la révolution et fait mépriser Napoléon, le chef de guerre, ne l’empêche pas d’offrir un canon baptisé Le Courbet, le 18 janvier 1871 [Corr. p. 354]. L’anticlérical a peint huit ans dans une chapelle, puis vingt-deux ans dans une église. L’anti-mariage et toute attache – « il y a des femmes partout » – a joui durant onze ans de Virginie Binet, puis pleuré la mort de son fils qu’en 1847 il n’avait pas reconnu. Nommé par le gouvernement président d’une commission dite des archives le 24 septembre 1870, il en démissionne le 1er décembre. Tel est l’homme sous l’icône, normal.
Contre les assauts des Prussiens, Paris capitule le 28 janvier.
Le 8 février, la France élit une Assemblée nationale pour quatre ans, qui tire du côté de l’ordre. Réunie à Bordeaux, celle-ci désigne Thiers « chef du pouvoir exécutif de la République » au moins jusqu’à la paix. Courbet, redevenu simple citoyen, abandonne-t-il son projet de déboulonner ? Il écrit à son père, le 23 février 1871 : « J’ai voulu faire démolir la colonne Vendôme. Je n’ai pu l’obtenir du gouvernement, le peuple était d’avis » [Corr. p. 357].
Paris gronde. Thiers fait enlever des canons placés sur la butte Montmartre, que les insurgés pourraient retourner contre la garde nationale. Hugo déplore la maladresse. Le 18 mars, le gouvernement se retranche à Versailles. Sous la dénomination de la Commune, le peuple de Paris s’insurge et choisit de s’administrer seul. L’idéal reste la devise révolutionnaire : liberté, égalité, fraternité. Tout individu peut se faire entendre. Courbet, en vrai bonimenteur, n’oublie guère ses obsessions. Il dénonce le jour même « le déplorable exemple de l’École des beaux-arts, patronnée et subventionnée par le gouvernement [qui] dévoie la jeunesse et nous prive de l’art français » [Corr. p. 358]. On devrait relire ses « Lettres aux artistes », combien il mêle le délire à la générosité, le bon-sens au non-sens. Le 7 avril, en tout cas, il propose de supprimer « la section des Beaux-Arts à l’Institut […] et L’École de Rome » [Corr. p. 361]. Est-ce bien de la sauvegarde ? Et la colonne, demandez-vous ?
Le 14 avril, le Conseil vote le décret de sa démolition. Le Conseil n’a nul besoin de la présence du peintre. L’obsession du « président des arts » a gagné toutes les têtes. Deux jours plus tard, le 16 avril, Courbet est élu membre de la Commune. N’est-il pas encore plus près de son affaire ? Ne lit-on pas, par exemple, dans le Journal Officiel du 27 avril : « Le citoyen Courbet demande que l’on exécute le décret de la Commune sur la démolition de la colonne. On pourrait peut-être laisser subsister le soubassement de ce monument, dont les bas-reliefs ont trait à l’histoire de la République : on remplacerait la colonne impériale par un génie représentant la révolution du 18 mars » cité par Jules-Antoine Castagnary, Plaidoyer pour un ami mort, E. Dentu, libraire éditeur, 1883 [p. 54].
On peut comprendre son état d’esprit. L’élu du 16 avril écrit à ses parents le 30 : « Je siège et je préside 12 heures par jour. Je commence à avoir la tête comme une pomme cuite. Malgré tout ce tourment de tête et de compréhension des affaires sociales auxquelles je n’étais pas habitué, je suis dans l’enchantement. Paris est un vrai Paradis » [Corr. p. 366]. Il ajoute dans la deuxième partie de sa lettre : « Je suis obligé de faire énergiquement tout ce travail qui m’est confié […] moi qui étais décentralisé, en ce sens que j’étais retranché dans mon individualité pendant toute mon existence. Pour être dans le sens de la commune de Paris, je n’ai pas besoin de réfléchir, je n’ai qu’à agir naturellement. » [Corr. p. 367]. J’ai lu une soixantaine de ses biographes. Presque tous nient tout intérêt de Courbet pour la Colonne.
La légende veut qu’un Comtois ne se rende jamais. La ténacité du peintre n’a-t-elle pas porté ses fruits ?
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Présent ou absent lors de la démolition ?
L’exécution du décret a lieu le 16 mai. En cet après-midi de « déboulonnement de la Colonne », le discours officiel coche donc Courbet absent.
À peu près seule parmi nos contemporains, Petra ten-Doesschate Chu affirme le contraire dans la Correspondance, qu’elle a réunie et publiée, note n° 4, p. 368. Les amis, Jules Vallès et Castagnary consignent également la présence du peintre, à quoi s’ajoutent un autre double indice et quelques faits.
Le premier : « Le jour où la colonne fut renversée, il était là, sur la place, avec sa canne de vingt sous, son chapeau de paille de quatre francs, son paletot coupé à la confection, acheté à la Redingote grise, peut-être. » Jules Vallès, in Le Réveil, le 6 janvier 1878, reproduit dans Le Cri du peuple, É.F.R, 1953, et dans le deuxième volume des Œuvres, Pléiade, Gallimard, 1989.
Le second le stipule doublement : « Le 16 mai 1871, il y avait sur la place Vendôme vingt mille curieux. Courbet y était naturellement, mais en spectateur, et en spectateur si désintéressé, qu’il ne croyait pas à un résultat effectif. […] On vit bientôt la colonne tomber, le fût perdre son équilibre, se briser en l’air et s’abattre avec fracas sur le lit de madriers et de fumier qui lui avait été préparé. Devant ce résultat, qui contredisait ses affirmations les plus positives, Courbet demeura songeur. » Castagnary, Plaidoyer [p. 63 et 64].
Quatre jours plus tard, le 20 mai, Courbet écrit au rédacteur du Times de Londres : « Je suis accusé d’avoir renversé la colonne Vendôme. Sa destruction a été votée le 14 avril. J’ai chaudement recommandé la préservation des bas-reliefs et proposé d’en former un musée dans la cour des Invalides » [Corr. p. 368]. Pour ce faire, il lui fallait être sur place, comme il le fut pour empêcher le pillage de la maison de Thiers, quatre jours plus tôt. La lettre publiée dans La Gazette de Lausanne du 27 octobre 1873 le rappelle. « Dans les deux cas, mon intervention conservatrice a été la même ; mais je n’ai pu obtenir le même succès. » Un brouillon de cette lettre en date du 16 octobre [note 1] parle des « agissements » du peintre et confirme le parallèle entre le sauvetage des œuvres d’art de la Maison Thiers et celui de la colonne « sans avoir le même succès » [Corr, page 457]. Le télégraphe ne pouvait suffire. Courbet devait convaincre, en personne.
La même tentative de sauvetage mentionnée par ailleurs confirme sa présence : « Comme Courbet le raconte lui-même dans la lettre à M. d’Ideville, il a fait une tentative pour sauver au moins une partie de la colonne et, sa tentative ayant échoué, il s’est retiré à l’écart. » Castagnary, Plaidoyer [p. 59].
Le choc de la démolition a dû être considérable. Car, dans le temps même où Courbet se cache dès le 23 mai rue St-Gilles près de la Bastille [Corr. p. 368], « l’Assemblée de Versailles a [déjà] voté la reconstruction de la Colonne. On mettra en haut la statue de la France. C’est le conseil que j’avais donné. » Victor Hugo, Choses vues, 25 mai 1871.
Arrêté le 7 juin, emprisonné à la Conciergerie, Courbet écrit vite à Dorian. Il fait état « des déplorables événements auxquels j’ai dû assister, sans pouvoir les prévenir […] j’offre au gouvernement de la faire relever à mes frais. » [Corr. p. 370] et à Jules Grévy, le 19 juin : « Je maintiens l’offre que j’ai faite à la chambre, il y a une quinzaine de jours et que j’ai répétée à M. Dorian et à M. Victor Lefranc […] une vente publique de mes tableaux pour la relever à mes frais » [Corr. p. 372]. Si Courbet n’a rien à voir avec cette destruction, pourquoi fanfaronne-t-il de la sorte depuis sa cellule, jusqu’à « offrir deux cents de ses tableaux, tant de moi que des tableaux anciens » [id.] ?
Enfin, défendu par un avocat en vue, l’ex « Président des Arts » ne va opposer aucun alibi. Personne ne viendra soutenir devant le tribunal militaire que le peintre se trouvait ailleurs.
Mais peut-être reste-t-il vrai que le peintre fut persécuté, proscrit, ruiné ?
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Les deux photos ci-dessus et les deux de la page suivante – la colonne à terre et le portrait du peintre – sont reprises de Cédric Condon, La case du siècle, 1871, la Commune – Portraits d’une révolution, diffusé le dim. 02.05.21 à 22h42 sur la 5. — [La présente page et la suivante correspondent à un numéro hors série de Possibles, revue en ligne dotée de l’ISSN : 2431-3971]