Lecture de Henri-Pierre Rodriguez
à propos du Modèle oublié, éditions Robert Laffont, avril 2019
Je ne m’aventurerai pas à faire une analyse du Modèle oublié si passionnant ; d’autres s’y sont essayés avec bien plus de talent que je ne saurais le faire. Cependant, je salue notamment la maîtrise de l’écriture, les allers retours entre accents vernaculaires, que l’on « entend » dans certaines phrases et, pour le reste, une fluidité qui sied au roman ainsi qu’une sobriété percutante qui est la marque de l’analyse. Bref, du beau style au service de mots-pinceaux pour dire la vie d’un peintre.
Le Modèle oublié a donné lieu [sur Le Livre des visages] à un torrent de commentaires tournant tous autour du thème le plus saillant à première vue : l’aliénation consentie d’une femme victime de l’ego démesuré d’un homme qui, bien souvent, se pare des plumes du pervers narcissique. Pour moi, cependant, l’axe principal n’est pas celui du couple prédateur-victime ; ce schéma est le socle sur lequel va se jouer le drame d’un enchevêtrement de relations bien plus complexes que cette vue un peu trop binaire pour être le constat de quelques vies en conjonction pendant une dizaine d’années. Pour en finir avec cette toile de fond qu’est la condition de la femme au XIXe siècle, il est certain qu’on ne peut ignorer son état de dépendance depuis le code Napoléon. (Et oui, le XVIIIe siècle fut celui de la femme). Tout le monde a en mémoire les illustres serves de l’homme, j’écrivais il n’y a guère un billet sur la Comtesse Greffulhe qui enchanta la IIIe République dont elle fut l’âme et qui fut, oui, une femme battue et bafouée, mais elle avait un nom, elle vivait dans le luxe et tout Paris, son mari mis à part, était à ses pieds. Bref elle était connue. Il y eut aussi les cocottes qui menaient les hommes par le bout du nez, faisaient et défaisaient les fortunes, mais en obéissant à leurs désirs et flattant leur vanité, tout le monde savait combien elles « coûtaient ».
Virginie Binet n’avait ni entregent, ni notoriété, ni l’indépendance d’esprit que peut donner l’éducation, elle n’avait comme armes que la sincérité de son amour et un physique « appétissant », bien peu de chose… plus, cependant, que d’autres encore plus mal loties, mais pas suffisamment pour vivre sa vie au lieu de vivre celle d’un autre. Constat d’une époque, qui, sans chercher d’excuses à Courbet, explique en partie son comportement avec sa « régulière ». Tout cela, Pierre Perrin le dit à merveille ; la peinture sociale est tellement juste qu’elle nous évite de sombrer en « présentisme » pour dire avec les yeux d’aujourd’hui les visions du passé.
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Alors, venons-en à ce qui, époque ou pas époque, fait la particularité de Gustave Courbet. L’ « axe de basculement » si je puis dire se situe à la page 130 dans le chapitre 11 « l’aumône recommencée ». La douce Virginie, de rebuffade en rebuffade, prend conscience de son devoir de mère, et là entre en scène réellement le troisième personnage intrinsèquement mêlé à la situation, le fils Émile victime d’une agression domestique dont Courbet refusera de mesurer l’étendue. Ainsi, Virginie, sortira, au sens propre comme au figuré, de la vie de Gustave pour retourner à l’obscurité de sa province. C’est à partir de ce moment que les traits particuliers de caractère du peintre se révéleront ; nous le savions jouisseur, vaniteux, colérique et dominateur, mais cela le contexte social pouvait encore l’expliquer. Il se révèlera bien pire, entre autre complètement désintéressé de son rôle de père, l’enfant à qui il n’a jamais voulu donner son nom et qui l’amusa pendant sa prime enfance, disparaît de sa mémoire très vite.
Page 142, chapitre « froide avant que d’être morte » (le titre en dit déjà assez long…) « je regrette mon petit garçon, mais j’ai suffisamment à faire avec l’art sans m’occuper de ménage ». Et hop ! Émile passe à la trappe des pertes et profits. Notons cependant, par mesure d’équité, que Gustave C. aura un moment de désarroi lors de la mort précoce de son enfant. Un moment… Enfin, le socialiste convaincu, le pourfendeur des codes bourgeois se complaira cependant dans la fréquentation des privilégiés et deviendra au demeurant riche lui-même, mais là n’est pas le plus grave, ce qui jette un doute sur la sincérité de ses professions de foi sociales et sa remise en question de l’ordre établi est sa dureté vis à vis de sa sœur Zoé qui, ayant eu deux enfants du peintre Reverdy, est purement et simplement ostracisée par l’apprenti révolutionnaire.
Le Modèle oublié si intelligemment articulé fait plus que sortir de l’ombre une femme sacrifiée aux égoïsmes d’un homme et d’une époque, on y trouve aussi, et surtout à mon sens, une brillante analyse d’un caractère complexe, particulier et terriblement fort et, pour cela, je dis merci et bravo.
Henri-Pierre Rodriguez, Le Livre des visages, 30 juin 2019
P.S. Pauvre Virginie, sa petite musique reste décidément bien discrète. H.-P. Rodriguez